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    Jeune mort en quad à Antony: pas de course poursuite avec la police pour le parquet

    Curtis, 17 ans, originaire de Massy, est décédé dans la nuit de vendredi à samedi d'un grave accident de quad à Antony (92) après avoir voulu échapper à un contrôle de police. Alors que plusieurs versions circulent, un témoin présent affirme à BuzzFeed News qu'il y avait bien une course poursuite.


    Mise à jour le 03/07/2017: D'après Le Parisien, le parquet de Nanterre a refusé de saisir l'IGPN, estimant qu'il n'y avait pas de course poursuite. Plusieurs témoins, dont une personne présente dans le bus au moment de l'accident et retrouvée par BuzzFeed News, assurent pourtant que la voiture d'un équipage de la BAC poursuivait à vive allure Curtis R.

    L'avocat de la famille, Me Bouzrou, dénonce dans Le Parisien une enquête très légère: «C’est une enquête très peu fouillée, sans expertise des véhicules pour déterminer les vitesses et les distances. Et les policiers de la Bac indiquent avoir repris leur véhicule après le départ de Curtis de la station-service. Ils indiquent avoir accéléré. Ils voulaient le contrôler, c’est une course-poursuite.»


    Jeune mort en quad à Antony: «Ce qui est certain, c'est que la voiture de police le poursuivait»

    Cela faisait une semaine que Curtis n'avait pas conduit le quad du quartier, cet engin à quatre roues que les jeunes avaient l'habitude de s'échanger quand ils n'étaient pas au lycée. Ce vendredi, Curtis R., 17 ans, avait dit «c'est mon tour», se souvient un de ses amis. Il est environ 17h40 lorsque ce jeune lycéen originaire de Massy (Essonne) va faire le plein à la station essence du coin.

    Un équipage de la Brigade anti-criminalité (BAC) d'Antony l'aperçoit et souhaite le contrôler. L'adolescent n'a pas de casque. Selon certaines rumeurs, que la famille souhaite voir éclaircies, l'engin pourrait être non homologué et aurait des freins défectueux. Curtis R. prend la fuite. Cinq minutes plus tard, il percute violemment le bus de la ligne 3 du Paladin et perd énormément de sang. Il décédera dans la nuit à l'hôpital. Était-il poursuivi par l'équipage de police, a-t-il été percuté par celle-ci, où a-t-il pris, seul, le virage trop serré avant de s'écraser? Là, les versions divergent.

    «Une patrouille de police venait de le remarquer alors qu'il était arrêté et dépourvu de casque et se dirigeait vers lui à pied pour le contrôler et vérifier l'homologation de l'engin lorsqu'il prenait la fuite en les apercevant», précise le procureur de la République de Nanterre dans un communiqué publié samedi. Les policiers l'ont ensuite perdu de vue et auraient rejoint leur véhicule pour prendre un autre itinéraire.

    Quelques minutes plus tard, l'équipage de la BAC aurait alors de nouveau aperçu le jeune «circulant à vitesse très élevée au niveau de l'intersection chemin Potier et rue des Baconnets». Le procureur poursuit:

    «Il amorçait un virage, il percutait violemment le côté gauche du bus et était éjecté de son engin. Arrivés sur place, les policiers et des témoins lui portaient les premiers secours et les pompiers intervenaient rapidement. Le jeune homme hospitalisé dans un état grave est décédé au cours de la nuit.»

    Une course poursuite avec la police selon un témoin

    Rapidement, cette version est contestée par des proches de Curtis R. et par des habitants de Massy que nous avons interrogés. Selon eux, le jeune lycéen a été percuté par la voiture de police et non par le bus. La rumeur se propage rapidement. Des échauffourées éclatent dans la nuit de vendredi à samedi. Un cocktail Molotov est lancé en direction de policiers et du mobilier urbain dégradé.

    Selon une témoin présente dans le bus lors du drame que nous avons pu retrouver, la vérité pourrait se trouver entre les deux versions avancées. Curtis R. n'aurait pas été percuté par l'équipage de la BAC, mais aurait bien été poursuivi par celle-ci. Jennie, 17 ans, était assise dans le bus Paladin lorsqu'elle a vu Curtis «perdre le contrôle de son quad». Elle nous raconte:

    «Avec des amies, nous avions pris le bus Paladin à Antony à 17h30 et quand nous sommes arrivées vers les Baconnets, j'ai vu un jeune perdre le contrôle de son quad. Il a été projeté la tête contre la vitre du bus pendant que son quad est allé se retourner un peu plus loin. Il était suivi d'une voiture grise qui s'est garée au milieu de la route quelques secondes après l'accident.»

    Contrairement au récit du procureur de la République de Nanterre, Jennie affirme que des policiers suivaient à vive allure le jeune adolescent. Et ce, malgré une note du ministère de l'Intérieur qui interdirait aux force de l'ordre de poursuivre quads et motos depuis le drame de Villiers-le-Bel:

    «La voiture grise roulait à fond derrière le quad. Ils devaient être à 70 km/h. Au début je ne savais pas qui c'était, mais après l'accident un homme est sorti de la voiture et j'ai tout de suite vu son arme à la ceinture. Ce qui est certain, c'est que la voiture de police poursuivait le jeune sans gyrophare ni sirène allumée.»

    Une autre personne, qui dit avoir été présente au moment des faits, a livré la même version sur Facebook et affirme que Curtis R. n'a pas été percuté par la police mais était bien poursuivi.

    «La Bac ne l'a pas percuté, j'étais sur place et il s'est mangé un bus après une course avec une voiture.»

    «Curtis perdait beaucoup de sang. Après avoir fait évacuer le bus, le chauffeur est allé aider la victime avec d'autres passagers. Ils essayaient de trouver quelque chose pour arrêter l'hémorragie. La police est ensuite venue aider», poursuit Jennie.

    Le parquet de Nanterre a ouvert une enquête pour préciser les circonstances de la mort de l'adolescent. «Les premières constatations montrent que le conducteur était dépourvu de casque» et qu'il circulait sur un engin aux «pneus lisses», a rapporté le procureur de la République, qui n'a pas encore donné suite à nos sollicitations.

    Rencontrés samedi lors d'un rassemblement en hommage à la victime, les amis de Curtis R. sont venus en nombre au pied de l'immeuble du défunt à Massy-Opéra. Il y avait aussi la famille, des jeunes des quartiers alentours qui le connaissaient car «il avait une super réputation». Mais aussi l'équipe enseignante de Curtis R., scolarisé en première au lycée Jean Perrin de Longjumeau: la proviseure et son adjointe, le CPE, tous les surveillants et de nombreux professeurs.

    Et tous ont en mémoire un autre accident qui a eu lieu il y a presque cinq ans jour pour jour. En mai 2012, Mohamed H., 24 ans, habitant d'Antony, s'était tué à moto. Le passager, 19 ans et originaire de Massy, est aujourd'hui tétraplégique. Une rumeur de course-poursuite avec des policiers s'était propagée et des échauffourées avaient éclaté pendant plusieurs jours. «Un gymnase avait même brûlé», se rappelle Jérôme Guedj, élu PS de l'Essonne: «Il avait fallu que je fasse venir une délégation de jeunes dans le bureau du commissaire pour qu'ils écoutent les bandes radio de la police et qu'ils constatent qu'il s'agissait d'un cambriolage qui avait mal tourné. Ils n'étaient pas poursuivi par la police», ajoute-t-il. Aujourd'hui pour Curtis, les circonstances sont encore floues selon lui:

    «Je suis ici parce que je connaissais la maman à qui je voulais exprimer mes condoléances et parce que tous ces habitants, je les connais. Il y a deux semaines encore, j'avais croisé les jeunes en quad en allant voter. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, l'enquête le dira, mais c'est un drame.»

    «C'était la star de toutes les filles et le pote de tous les garçons»

    Comme c'est souvent le cas après la mort d'un jeune de banlieue, de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux sont venus tacher la réputation de Curtis R., forçant la famille à «prouver» qu'il ne méritait pas la mort. Ses proches nous disent que «ce n'était pas un caïd, ni un malfrat». «C'était juste un mec bien, qui a eu le malheur de croiser les cow-boys d'Antony», lâche Mehdi*, 21 ans. «C'était ce genre de garçons qui venait t'aider à porter tes courses», ajoute Sarah*. Une de ses enseignantes, qui préfère rester anonyme «pour parler au nom de toute l'équipe du lycée», ne dit pas autre chose: «Il était très apprécié dans son quartier mais aussi au lycée. Il était très respectueux. C'était la star de toutes les filles et le pote de tous les garçons.»

    Curtis R. a eu du mal à apprécier sa filière MEI pour «Maintenance des équipements industriels», mais il ne cessait de s'améliorer selon ses enseignants. «En seconde, c'était un peu compliqué, mais il grandissait vite. Il séchait un peu les cours au début, mais il était de plus en plus intéressé. C'est un élève qui m'a marqué. Il est rigolo, il aime faire son spectacle, il rendait les cours plus vivants», lâche sa prof qui continue de parler de lui au présent. «Ce n'est pas du tout le minable qu'internet est en train de dépeindre», ajoute-t-elle, faisant allusion aux centaines de commentaires nauséabonds sur les réseaux sociaux.

    Si l'enquête débute à peine, certains y voient déjà une répétition de l'Histoire. Celle d'Adama Traoré, mort après avoir été interpellé par des gendarmes l'été dernier. Certains proches de Curtis R. disent «avoir la haine» contre les forces de l'ordre. Plusieurs d'entre eux racontent même une anecdote qui marque déjà le quartier. Des «élèves de confiance» l'ont rapportée à l'enseignante qui résume:

    «Vendredi soir, les jeunes étaient rassemblés pendant que Curtis était hospitalisé. Lorsque l'annonce de son décès a été faite, l'un d'entre eux a éclaté en sanglot et a pris à partie un policier en lui criant qu'il avait "tué son frère". Le CRS a répondu: "Va chialer ailleurs! J'ai pas pleuré moi, quand vous avez tué mon frère sur les Champs-Élysées." (en référence à Xavier Jugelé tué jeudi 20 avril à Paris, ndlr)»

    «La violence ne ramènera pas mon fils à la vie»

    Samedi, alors que le rassemblement se déroulait dans le calme, plusieurs équipages de CRS ont fait irruption, Flash-Ball pointés sur la foule (comme on peut le voir sur la vidéo ci-dessous). Pour tenter d'apaiser les tensions, des habitants se sont tenus par la main, les jeunes derrière, les policiers devant. Des élus présents ont tenté eux aussi de faire partir les policiers. Vincent Delahaye, le maire UDI de la ville, compris. Les CRS se sont alors repliés avant de quadriller les environs.

    [URGENT] Situation tendue entre jeune des baconnets et la police suite à la mort de CURTIS #Massy… https://t.co/3CmrK1st46

    En plus de la défiance à l'égard de la police, les habitants se méfient de la presse et lui reprochent de «se contenter de la version des policiers». Samir*, 22 ans, se dit en colère:

    «Comme d'habitude, les médias relaient les faits en laissant penser que la victime était coupable. L'affaire est déjà pliée. On va nous dire que les policiers ont juste fait leur boulot. Et en plus de cette version, les médias ne respectent rien. Ils ont par exemple publié une photo horrible avec Curtis à moitié mort. C'est honteux.»

    Samir fait référence à un article du Parisien publié samedi et illustré par un cliché de l'adolescent au sol en train d'être réanimé par les secours. Une habitante a alors contacté le journal pour qu'ils la retirent. En vain. «Ils ne voulaient rien entendre. J'ai dû déranger la famille en plein deuil et une cousine a demandé le retrait de la photo. Ils ont refusé et ont seulement accepté de flouter le corps de Curtis au bout de deux heures d'échange», déplore-t-elle. Les parents tenaient pourtant à ce qu'il n'y ait pas de photo de Curtis, «juste pour qu'il parte paisiblement». De quoi rendre amère l'une des enseignantes de l'adolescent: «Toute l'équipe du lycée travaille pour que les jeunes aient confiance en la police mais aussi en la presse. Il a fallu un jour et un mort pour que tout soit détruit. Ils n'ont plus confiance en personne.»

    À la fin du rassemblement samedi, quelques tensions ont de nouveau éclaté dans le quartier malgré les appels au calme du père de Curtis R. «La violence ne ramènera pas mon fils à la vie», a-t-il lancé aux jeunes en colère. La mère du jeune garçon, elle, avait dû rentrer se reposer précipitamment après avoir fait plusieurs malaises. Elle doit maintenant préparer un moment de recueillement qui aura lieu dimanche à 15h. Les enseignants du lycée Jean-Perrin, eux, se mobilisent pour mettre en place une journée d'hommage mardi dans leur établissement. Les enseignants veulent honorer la mémoire d'un «élève qui ne méritait pas ça». Avec douleur, sa professeure se souvient d'un travail effectué avec Curtis R. il y a deux semaines et qui prend une tout autre résonance: «J'avais fait travailler ma classe sur des textes évoquant l'injustice. Il y avait notamment cette phrase: "Théo et Adama nous rappellent pourquoi Zyed et Bouna couraient." Je n'imaginais pas voir le nom de Curtis s'ajouter à cette liste.»

    Tous avec la famille de Curtis #LaPoliceTue #RIP #JusticePourCurtis #Massy #Antony #ACAB

    * Le prénom a été modifié

    Mise à jour le 11/07/2017: Un porte-parole du parquet de Nanterre affirme ce jeudi à BuzzFeed News que les policiers ne poursuivaient pas le jeune Curtis R. en voiture lorsqu'il a percuté le bus. Une «enquête accident» a été ouverte et confiée au commissariat d'Antony (92). «Il n'y a pas matière à ce que l'IGPN soit saisie», ajoute le parquet.