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    Canulars homophobes dans TPMP: l'association Le Refuge a-t-elle menti?

    L'association Le Refuge affirme qu'un jeune gay victime du canular homophobe de Cyril Hanouna a été viré de chez lui. Une enquête de BuzzFeed News montre que cette version souffre de nombreuses incohérences.


    Mise à jour mercredi 31/05: H2O, la société de production de TMP a déposé trois plaintes, selon le Parisien. Une plainte contre X pour dénonciation calomnieuse, adressée au tribunal de grande instance de Montpellier. Une autre plainte contre X pour diffusion de fausses nouvelles, devant le TGI de Paris. Et une troisième plainte, pour diffamation, avec constitution de partie civile, contre Nicolas Noguier, le président du Refuge. L'avocat de H2O, Me Stéphane Hasbanian, dit vouloir "établir la vérité sur l'existence ou non d'une prétendue victime du canular" de Cyril Hanouna après la diffusion de l'enquête de BuzzFeed, montrant les incohérences apparues dans la version du Refuge.


    Après les canulars homophobes de Cyril Hanouna dans l'émission Radio Baba diffusée jeudi 18 mai, l'association Le Refuge a rapidement communiqué pour annoncer avoir été en contact avec l'un des jeunes gays piégés par l'animateur. Mais la version de l'association apparaît de plus en plus bancale. Sans que la direction du Refuge n'accepte de livrer des éclaircissements.

    Le Refuge parle d'abord d'un jeune bouleversé mais pas d'une victime directe du canular

    Le lendemain de la séquence homophobe, le 19 mai, le président du Refuge Nicolas Noguier, s'exprime pour la première fois dans la presse. Interrogé par l'Express, il affirme qu'un jeune a contacté la ligne d'urgence après avoir vu l'émission:

    «Hier, à une heure du matin, un jeune nous a appelé, au bord des larmes, bouleversé par cette séquence, par les propos blessants et humiliants tenus par Cyril Hanouna.»

    À aucun moment, il n'évoque l'appel d'une victime de Cyril Hanouna. Et contactée par BuzzFeed News, Véronique Lesage, la coordinatrice nationale de la ligne d'urgence, affirme, après avoir vérifié «sur le tableau de transmission», que cet appel d'une victime «indirecte» n'est pas mentionné.

    Le 21 mai, trois jours après le canular, le jeune téléspectateur qui a contacté Le Refuge se transforme en victime directe de Cyril Hanouna. Sur Facebook, Nicolas Noguier affirme:

    «Notre écoutant a dû échanger une grande partie de la nuit avec l'un des jeunes piégé par M. Cyril Hanouna et qui était dans un état de détresse morale épouvantable. Nous avons été fort démunis devant ses pleurs et sa peur d'être reconnu par ses parents et son entourage. Nous n'avons pas son numéro et nous ne savons pas ce qu'il est devenu. Vous êtes un fan inconditionnel et en avez le droit. Nous, nous pensons aux jeunes avant tout et voir l'un d'entre eux pleurer nous crèvera toujours le coeur. Laissez-nous travailler !»

    La presse s'empare rapidement de l'information et l'Express interroge le 22 mai Romain, le bénévole du Refuge qui a eu la victime au téléphone.

    «À 3 heures du matin, dans la nuit du jeudi au vendredi, je reçois le coup de fil d'un jeune homme en pleurs, bouleversé. Il avait clairement le sentiment de s'être fait avoir, arnaquer, d'être tombé dans un piège. Il a vraiment cru tomber sur une vraie annonce, et durant les quatre premières minutes de conversation, il a cru avoir affaire à un homme cherchant une relation. Quand Cyril Hanouna a dévoilé sa vraie voix, il a compris.»

    Alors que Nicolas Noguier laissait entendre que le jeune n'avait pas été reconnu par ses parents, le bénévole dit au contraire qu'il a immédiatement été menacé par sa famille après l'émission:

    «Il a reçu des appels et des textos de membres de sa famille ayant reconnu sa voix. Il a même reçu des menaces de la part de certains d'entre eux, en colère qu'il ait pu divulguer son orientation sexuelle à la télévision. Je suis resté 1h30 avec lui, j'ai essayé de le calmer, de le rassurer sur le fait que l'homosexualité n'est pas un choix ou une honte. Je lui ai même suggéré de porter plainte.»

    Le lendemain, Romain donne plus de détails à franceinfo. Il raconte que la victime est un lycéen de 19 ans «dans un coin paumé en province» qui a eu environ 4 minutes de discussion avec l'animateur. Romain dit aussi connaître une partie de son identité: «Son prénom, il me l'a dit, mais je le garde pour moi.»

    Le mercredi 24 mai, Romain révèle sur franceinfo que le jeune en question a rappelé Le Refuge une seconde fois, pour annoncer avoir «été viré de chez lui», mais qu'il se trouvait néanmoins «en sécurité». Interrogée par l'Express, Véronique Lesage, qui dit avoir eu le jeune au téléphone cette seconde fois, le mardi 23 mai vers 14h30, donne des précisions et notamment celle-ci:

    «Avant le canular, il ne connaissait pas TPMP, il est très étonné et choqué de l'ampleur que ça a pris.»

    Aucun profil ne correspond à celui du jeune décrit par Le Refuge

    Problème: aucun des jeunes victimes de l'émission de Cyril Hanouna ne correspond à ce profil. En effet, l'animateur a piégé en direct sept personnes:

    • Mika, 43 ans, qui travaille dans une caisse de retraite.
    • Sandra, une femme.
    • Antoine, qui a témoigné sur Morandini.com et a démenti avoir contacté Le Refuge.
    • Daniel, qui semble âgé, qui habite Nanterre et dont la conversation a duré environ 1min30.
    • Mathieu, qui dit être maçon et dont la conversation a duré 1min30.
    • Kevin, 26 ans, qui a également témoigné sur Morandini.com et qui n'a pas contacté Le Refuge.
    • Jean, qui dit «travailler dans le chantier» et dont la conversation dure 4 minutes.


    Par élimination donc, seule la dernière victime nommée «Jean» correspondrait plus ou moins au profil décrit par Le Refuge. Mais cette personne, qui est effectivement restée en ligne 4 minutes avec Cyril Hanouna lors de l'émission Radio Baba, n'est pas un lycéen, mais dit «travailler dans le chantier». Plus étonnant encore, c'est en réalité «Jean», semble-t-il au courant de la fausse annonce, qui piège Cyril Hanouna. Et contrairement aux affirmations de Véronique Lesage, «Jean» semble bien connaître l'émission et ses chroniqueurs.


    Voici l'extrait du canular homophobe avec «Jean» et Cyril Hanouna:

    Voir cette vidéo sur YouTube

    youtube.com

    De nouvelles contradictions dans le témoignage du bénévole

    Contacté par BuzzFeed News vendredi, Romain, le bénévole du Refuge, répète ce qu'il a déjà dit à l'Express et à franceinfo concernant le profil du jeune gay. Sauf que cette fois-ci, il affirme que la victime n'a pas 19, mais 20 ans. Et alors qu'il avait déclaré connaitre son prénom, il change là encore de version: «Non, je n'ai rien sur lui, il a refusé de décliner son identité.» Malgré cela, il est certain d'avoir eu affaire à une victime de l'émission:

    «Oui, nous sommes sûrs que c'est une victime de Cyril Hanouna. Recevoir un appel de détresse à deux reprises avec la même personne sachant que la première fois elle était dévastée, pour moi cela ne peut pas être faux.»

    Lors de chaque appel «compliqué», les bénévoles qui tiennent la ligne d'écoute d'urgence doivent remplir un «compte-rendu». La direction de l'association a refusé de nous les communiquer. Comment expliquer toutes ces incohérences? Pour se défendre, Romain affirme que les médias ont pu déformer ses propos.

    Joint par BuzzFeed News, un membre de H20, la boite de production de Touche pas à mon poste, fait le même constat:

    «Nous relevons qu'aucun des profils des jeunes intervenus dans l'émission ne correspond à la description faite de la victime par Le Refuge. Au téléphone avec nous, Le Refuge reconnaît d'ailleurs ne pas pouvoir faire le lien entre les deux.»

    Si la production estime que l'association est certainement «allée vite en besogne», elle dit «ne pas être en guerre avec elle, au contraire». D'après nos informations, Le Refuge va rencontrer les auteurs et producteurs de l'équipe le 2 juin prochain pour une journée de sensibilisation.

    Ce samedi, Le Parisien a également remis en cause la version du Refuge. Interrogés par le quotidien, Nicolas Noguier et Frédéric Gal n'ont cessé de changer de version. Par ailleurs interrogée par franceinfo samedi sur ce faux témoignage, la secrétaire d'État Marlène Schiappa a dit avoir une confiance absolue et ne pas remettre en doute la parole du Refuge.

    Je fais pleinement confiance par principe aux associations avec lesquelles je travaille. Évidemment j'ai une confiance totale dans @lerefuge

    Le Refuge, déjà accusé d'avoir menti en 2014

    Face aux rumeurs sur les réseaux sociaux à propos d'un éventuel bidonnage du Refuge, le président Nicolas Noguier, qui refuse de nous répondre, s'est défendu sur Facebook ce vendredi en maintenant sa version.

    Sollicité à plusieurs reprises, le directeur général de l'association, Frédéric Gal, a accepté de nous mettre en lien avec le bénévole Romain, mais a refusé de s'exprimer pour se défendre. «Vous avez eu Romain au téléphone (...) je ne peux rien faire de plus», a-t-il répondu par SMS.

    Ce n'est pas la première fois que cette association, reconnue d'utilité publique, fait polémique. En 2014, une enquête publiée sur Rue89 (réalisée par l'auteur de cet article) montrait «les coulisses gênantes» du Refuge et revenait sur une dizaine de jeunes mis à la porte, un bénévole condamné pour abus sexuels sur mineurs et des conditions d’hébergement insalubres.

    L'association était aussi accusée d'avoir menti à propos de la mort d'un de ses anciens pensionnaires en prétendant qu'il s'était suicidé après le rejet par ses parents de son homosexualité. De très nombreux médias avaient repris la théorie de Nicolas Noguier. Quelques jours plus tard, après l’autopsie, le vice-procureur d'Albertville avait pourtant retenu la thèse de l’accident. L'association, qui avait attaqué Rue89 en justice pour diffamation, avait été déboutée.