Aller directement au contenu

    Au procès de la voiture de police incendiée, les journalistes accusés d'être des auxiliaires de police

    C'est notamment sur la base des vidéos filmées par des médias que huit personnes ont pu être jugées. Un journaliste a été agressé en marge de l'audience jeudi.

    «Cassez-vous avec vos caméras !» Depuis le début, mardi, du procès dit de «la voiture de police incendiée», l'ambiance est tendue entre militants et journalistes, devant la 16e chambre du palais de justice de Paris. Les journalistes sont notamment empêchés de filmer la sortie du public et des prévenus à la fin de chaque audience. Les militants qui assistent au procès ne veulent pas que les autorités «aient un moyen de plus pour les surveiller». Ils reprochent aussi à la presse les nombreuses images diffusées après la fameuse manifestation interdite du 18 mai.

    Ce jour-là, des militants viennent place de la République, à Paris, protester contre le rassemblement organisé par le syndicat de police Alliance. Repoussées par les gendarmes, des personnes au visage dissimulé partent en «manif sauvage». La manifestation se terminera par l’agression de deux policiers et l’incendie de leur voiture, quai de Valmy, dans le 10e arrondissement. Les images de la voiture incendiée seront diffusées massivement. Et c'est justement ça que certains militants ne digèrent pas.

    Des journalistes insultés et poussés au TGI de Paris

    Depuis le début du procès des neuf prévenus, accusés pour une majorité d'entre eux d'avoir agressé les deux policiers, les vidéos tiennent une place capitale. Il n'y a pas un jour sans que le président du tribunal, les deux procureurs ou les différents avocats n'aient pas demandé le visionnage de vidéos de cette fameuse scène. La couleur du caleçon de l'un des protagonistes est analysée pendant de nombreuses minutes. Le regard cerné d'un prévenu est minutieusement comparé avec celui de l'agresseur cagoulé. Chaque vidéo captée par les journalistes présents sur les lieux— ceux de Russia Today France, de l'Obs, du Parisien, du Huffington Post — est décortiquée jusqu'aux plus infimes détails.

    Et devant la salle d'audience, les militants insultent et menacent parfois les journalistes. Lundi, plusieurs journalistes sont tombés à terre après avoir été poussés par quelques individus.

    Après avoir viré les journalistes en les insultant, les militants d'extrême-gauche empêchent de filmer.… https://t.co/XDRZVecEjE

    Le but : empêcher la presse de filmer leurs visages et surtout celui des prévenus. «Pour moi, les journalistes sont des ennemis puisqu'ils servent le pouvoir. Leurs images sont utilisées par les autorités pour nous ficher et nous surveiller», estime une militante qui ne comprend pas pourquoi «la presse se vautre dans le spectaculaire en voulant filmer les visages de personnes qui ne le souhaitent pas». Une position qui avait déjà été théorisée lors des manifestations contre la loi travail et relayé par le site militant Paris-Luttes.info. Un article intitulé «En défense du fracassage de caméras», traduit d'un site anglophone.

    D'autres personnes, comme le reporter indépendant Nnoman, ont également questionné le rôle de certains médias qui souhaitaient absolument immortaliser le visage des prévenus qui ne le souhaitent pas.

    Les journalistes,devant le procès #voiturebrûlée qui forcent pour filmer les accusés, c'est quoi votre définition du mot déontologie ?

    Un journaliste «aurait pu se faire lyncher»

    Si chez certains ultras la défiance à l'égard de la presse est générale (et pas nouvelle), un journaliste en particulier a été la cible de certains militants «antifas» en marge du procès. Thierry Vincent, auteur d'un documentaire sur «les casseurs» pour «Envoyé spécial», a d'abord été hué et insulté à la sortie du palais de justice lundi dernier. Jeudi, alors qu'il couvrait la manifestation du 21 septembre, la violence est montée d'un cran. Il a été violemment frappé au visage une fois reconnu par des «militants d'extrême gauche».

    «J'ai filmé le cortège de tête et quelqu'un a crié mon nom. J'ai fait l'erreur de ne pas partir en courant. Ils me criaient "casse-toi", et là, un militant m'a donné un coup de poing au visage. D'autres, heureusement, sont venus s'interposer», témoigne-t-il à BuzzFeed News.

    «Il aurait pu se faire lyncher. Il était complètement sonné. D'autres reporters l'ont extirpé et l'ont ensuite soigné», raconte un autre témoin de la scène qui préfère rester anonyme.

    On lui reproche d'avoir accepté de donner à la justice des rushes de la scène de la voiture de police incendiée qu'il a pu filmer pour France 2. «Me Levy, l'avocat initial d'Antonin B. (il a été remplacé par Me Arié Alimi depuis, ndlr) m'a demandé de lui donner les rushes de mes images tournées ce jour-là. Il pensait que cela pouvait disculper son client. Une fois qu'il les a visionnées, il m'a dit "c'est de la bombe atomique vos images"», explique Thierry Vincent.

    Mais le journaliste précise avoir demandé à ce que l'utilisation de sa vidéo ne puisse pas mettre en cause quelqu'un d'autre: «Il m'a assuré que cela serait respecté, que personne n'était identifiable, ni même le coupable. J'ai fait confiance aux avocats, d'autant que des militants et des soutiens d'Antonin B. étaient d'accords.»

    Les images ont ainsi été versées au dossier pour tenter de disculper Antonin B., le jeune homme de 23 ans accusé de «violences aggravées sur policiers en réunion». Convoqué par la police pour avoir des indications sur les agresseurs, le journaliste ne dira en revanche pas un mot: «J'ai dit que je ne savais rien, ce qui était vrai. Mais si j'avais su qui c'était, je n'aurais rien dit.» S'agissant de son agression, il n'a pas non plus souhaité porter plainte.

    «Ma vidéo n'a mis personne dans la merde»

    La vidéo de Thierry Vincent s'est ainsi retrouvée au cœur du procès et a permis, comme celles d'autres journalistes, d'alimenter les plaidoiries de la défense et notamment celles du conseil d'Antonin B. Mais une rumeur parmi les militants et les soutiens des prévenus du quai Valmy a enflé au fil des audiences: la vidéo de Thierry Vincent aurait permis au parquet de mettre en cause d'autres personnes parmi les huit prévenus présents au procès.

    «À ma connaissance, ma vidéo n'a mis personne dans la merde», rétorque le journaliste qui ajoute qu'au contraire, elle a même permis de montrer que les manifestants n'avaient pas tous le mauvais rôle ce jour-là. L'un d'entre eux avait effectivement aidé la policière à sortir du véhicule alors qu'il commençait à brûler.

    Interrogé, l'un des avocats qui défend l'un des huit prévenus commente, sous couvert de l'anonymat :

    «On ne sait pas vraiment si la vidéo de ce journaliste a donné des arguments au parquet, mais c'est en effet la rumeur qui court. Cette rumeur vise peut-être à diviser les prévenus».

    Me Jérémie Assous, qui défendait initialement Antonin B. est, lui, catégorique: «La vidéo de Thierry Vincent n'a mis en cause personne. Le parquet la cite pour l'un des prévenus (Thomas R.), mais il était déjà identifié sur d'autres vidéos [de journalistes]. Et en réalité, les images de ce journaliste ont permis, comme je l'ai dit lors de ma plaidoirie, de démontrer que le témoignage d'un policier dans ce dossier était faux.» Et d'ajouter :

    «Il est tout à fait crédible que la rumeur ait été lancée à dessein»

    Une hypothèse que partage Thierry Vincent : «Des journalistes comme Gaspard Glanz ou moi, qui sommes considérés par les autorités comme étant proches de l'extrême gauche— alors que je n'ai jamais été militant— dérangeons la police.» Le reporter indépendant Gaspard Glanz a lui aussi été pris à partie par quelques militants à la manifestation du 21 septembre.

    Un journaliste de @TaranisNews est éjecté manu militari par des militants masqués

    Contacté, le parquet n'a pas souhaité faire de commentaire. Tout au long de ce procès qui s'est achevé mercredi, des dizaines d'images autres que celles de Thierry Vincent ont en tout cas été projetées. Elles ont été utilisées par toutes les parties. Et ce, sans que l'on sache encore si elles accablent ou disculpent les neuf prévenus. La décision sera rendue le 11 octobre.