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    Affaire Ramadan: la défense de l'islamologue exhume de nouveaux messages d'Henda Ayari

    Info BuzzFeed - L'une des femmes qui a accusé le prédicateur Tariq Ramadan de viol, Henda Ayari, avait déclaré avoir coupé les ponts avec lui en juin 2013. La défense de M. Ramadan a pourtant versé au dossier des messages qui auraient été envoyés par la victime présumée en 2014.

    Depuis deux jours, le parquet de Paris en charge de l'enquête sur «l'affaire Ramadan», est en possession de nouveaux éléments. D'après nos informations, confirmant celles de l'Agence France-presse (AFP), les avocats de l'islamologue suisse Tariq Ramadan, notamment accusé de viol, ont transmis à la justice mercredi des éléments censés discréditer le témoignage d'une des deux victimes présumées. BuzzFeed News a pu les consulter.

    Il s'agit de plusieurs dizaines de messages échangés sur le réseau social Facebook, entre juin à septembre 2014, entre Tariq Ramadan et une personne qui se présente comme Henda Ayari. Cette dernière est la principale accusatrice de Tariq Ramadan. Elle a déposé plainte le 20 octobre pour «viol, agression sexuelle, violences et menaces de mort» à l'encontre du prédicateur.

    D'après cette correspondance, que BuzzFeed News a pu consulter dans son intégralité, la plaignante aurait envoyé environ 280 messages à Tariq Ramadan entre juin et août 2014. Pourtant, les avocats de Henda Ayari avaient affirmé que leur cliente avait coupé les ponts avec Ramadan à partir de la mi-2013. Lors d'une conférence de presse, Me Leclerc avait déclaré :

    «Ce que je peux vous dire, c'est que Mme Henda Ayari et M. Tariq Ramadan ont eu des contacts, à l'initiative souvent de l'un [Tariq Ramadan] et pas de l'autre, quasiment jusqu'au milieu de l'année 2013.»

    Les messages envoyés à Tariq Ramadan sont signés sous un pseudonyme que nous ne citerons pas, pour ne pas exposer la victime présumée (le compte est toujours actif). Plusieurs éléments laissent effectivement penser qu'il s'agit bien du deuxième compte Facebook de Henda Ayari — son premier compte aurait été bloqué par Tariq Ramadan :

    • La personne tenant ce compte Facebook envoie des messages à Tariq Ramadan qu'elle signe «Henda»
    • Le numéro de téléphone mentionné par la femme dans un message est bien celui de Henda Ayari.
    • Ce compte est abonné à un groupe de soutien "à toutes les femmes libres" administré par Henda Ayari elle-même.
    • Ce compte est abonné à plusieurs groupes attachés à Rouen, ville où habite Henda Ayari.
    • Ce compte est abonné au groupe «Tu sais si tu viens de Tunisie si...», pays d'où est originaire Henda Ayari.


    Contacté par BuzzFeed News, l'un des avocats de la militante féministe, Me Leclerc, ne dément ni ne confirme ces échanges : «Je n'ai aucun commentaire à faire pour l'instant.» Même chose pour son deuxième avocat Me Jonas Haddad : «Je ne peux pas commenter des pièces que je n'ai pas encore pu consulter. Et le conditionnel s'impose puisqu'il s'agit d'un compte Facebook anonyme.»

    «Je voulais avoir de tes nouvelles. Je ne t'ai pas oublié»

    Le premier message envoyé par celle qui signe «Henda» date du 4 juin 2014 à 23h29 :

    «Salam Alaykoum. Je pensais à toi ce soir, je voulais avoir de tes nouvelles. Je ne t'ai pas oublié, j'espère que tu vas bien. C'est mon deuxième compte, malheureusement tu m'avais bloqué sur le premier et privé de tes écrits.»

    Tariq Ramadan tente alors de couper court à la conversation. Puis, face à l'insistance de son interlocutrice, il ajoute :

    «Prends soin de toi en tout cas. Tu m'as trop insulté et trahi avec ce que tu as dit et raconté à mes pires ennemis pour même envisager une amitié. Tu es allée trop loin.»

    Deux jours plus tard, l'interlocutrice répond :

    «Je n'ai pas changé de numéro, je ne sais pas si tu l'as gardé, je te le redonne: 06.. .. .. .. Sache une chose, je ne suis pas amoureuse de toi mais j'ai de l'estime, de la tendresse et de l'affection pour toi et surtout le souvenir d'un homme qui m'a chamboulé et marqué. Je t'embrasse. Ta Henda.»

    Tariq Ramadan ne répond presque jamais. La personne qui se présente comme Henda Ayari, envoie de nombreux messages et insiste pour pouvoir obtenir un rendez-vous. Elle écrit le 7 juin 2014 à 15 h 17 :

    «Bon je te propose un week-end complet. Tu m'invites dans un hôtel sympa. Si possible avec grande baignoire. On va kiffer tout le week-end.»

    S'en suivent des messages à caractère sexuel.

    «Je regrette d'avoir été influencée par des parasites extérieurs»

    Comme pour les messages de 2013, exhumés par Le Parisien, il n'est jamais question précisément du viol et des agressions dont Henda Ayari dit avoir été victime. Au cours de l'échange, elle écrit néanmoins qu'à l'époque des faits dénoncés, des «parasites extérieurs» lui ont demandé de témoigner contre Tariq Ramadan :

    «À l'époque, j'étais pas bien et instable psychologiquement à cause de mes blessures du passé. Je regrette mon comportement et surtout d'avoir été influencée par des parasites extérieurs contre toi malgré tout. Je ne pourrai jamais t'oublier et j'ai de l'affection et de la bienveillance pour toi et je sais que toi aussi.»

    La semaine dernière, un autre élément contre Henda Ayari avait été versé au dossier selon l'AFP. Un fonctionnaire assermenté a produit une attestation dans laquelle il accuse Henda Ayari de l'avoir menacé d'une plainte pour viol, après avoir repoussé ses avances. Il dit avoir avoir rencontré Henda Ayari en mars 2013, alors qu'elle cherchait à obtenir des conseils juridiques dans le cadre de problèmes professionnels. «Quelques jours après, elle voulait me revoir, me disant avoir besoin de "réconfort". J'ai indiqué être marié, elle insistait, je refusais ses avances», dit ce témoin dans son attestation. «Elle m'a menacé de porter plainte pour viol si je n'acceptais pas une relation sexuelle avec elle, me harcelant des jours durant», ajoute-t-il.

    D'autres conversations exhumées par Le Parisien

    Mi-novembre, le parquet de Paris s'était vu remettre le contenu d'une autre conversation privée entre l'islamologue et Henda Ayari, 15 mois après le viol présumé. Le 5 juin 2013, elle reprend contact avec l'islamologue Tariq Ramadan sur Facebook, raconte Le Parisien. Lors de cet échange, la jeune femme ne fait pas non plus référence à son agression présumée. Et évoque aussi des pressions extérieures :

    Ayari : «Salam Tariq comment vas-tu ? (...) Ça fait longtemps, je voulais avoir de tes nouvelles

    Ramadan : — Et pourquoi ? Insultes et menaces ont été tes derniers mots. Pourquoi revenir ?

    Ayari : — Nous sommes des êtres humains avec nos failles. J'étais dans une période difficile et instable et des personnes qui te haïssent m'ont monté la tête contre toi en te faisant passer pour un monstre pervers et sans cœur.»

    À l'époque, ses avocats, Mes Jonas Haddad et Grégoire Leclerc, ont évoqué un contexte de «pressions psychologiques» et avaient livré cette précision au quotidien:

    «Notre cliente, qui a été victime des pressions de M. Tariq Ramadan pendant trop longtemps, a enfin décidé de ne plus se taire afin que justice soit faite. Nous nous étonnons de voir rendue publique une conversation d'ordre privé entre Mme Henda Hayari et M. Tariq Ramadan, complètement sortie de son contexte. Personne ne peut être dupe : cette information a pour objectif de discréditer notre cliente qui, à l'époque des faits, était sous l'emprise d'un homme qui exerçait sur elle des pressions psychologiques extrêmement fortes. Des menaces de mort ont également été formulées [...]. La manipulation est le mode opératoire habituel de M. Tariq Ramadan. Nous le démontrerons devant la justice et non devant les médias.»

    Une seconde plainte visant Tariq Ramadan pour des faits similaires dans un hôtel à Lyon, en 2009, a été déposée fin octobre. Les deux plaignantes ont été entendues par la police, à Rouen et à Paris, ainsi que l'essayiste Caroline Fourest qui avait indiqué avoir remis des documents aux enquêteurs.

    Depuis son dépôt de plainte, Henda Ayari fait l'objet de nombreuses menaces et d'injures. Elle a d'ailleurs porté plainte contre X à la mi-novembre. Dans une longue enquête, Mediapart avait mis en avant la mécanique de contrôle et de menaces du «système Ramadan». Contacté, l'avocat de l'intellectuel, Me Bouzrou, n'a pas souhaité livrer de commentaires.