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Dans la masturbation féminine, il n’y a pas que le plaisir : il y a les clichés aussi

L’autostimulation sexuelle féminine n’est pas exempte des normes genrées.

Se masturber avec succès, ça ne devrait pas être très compliqué. Après tout, il suffit de toucher ses zones érogènes et génitales de telle façon que ça procure du plaisir. Sauf que, même dans ces moments de jouissance solitaire, le culturel revient au galop. Ainsi, cette pratique sexuelle se retrouve non seulement moins présente chez les femmes que les hommes mais s’avère aussi influencée par des clichés hétérocentrés, dont il n’est pas facile de se dépêtrer.

Comme l’écrit Michel Bozon dans l’Enquête sur la sexualité en France – Pratiques, genre et santé (Éd. La Découverte, 2008), «plus de 90 % des hommes disent avoir déjà pratiqué la masturbation, contre seulement 60 % des femmes». Un fossé déclaratif qui n’est en rien le signe d’une différence naturelle mais bien plutôt la conséquence d’une «croyance d’une spécificité masculine ou féminine dans l’exercice de la sexualité, […] où semblent toujours s’opposer un désir et des besoins "quasi physiologiques" masculins et des aspirations affectives et une disponibilité féminines», selon les termes des démographes Nathalie Bajos et Armelle Andro dans la même enquête.

La puberté, une charnière

Or la masturbation n’est pas répandue seulement chez les détenteurs du chromosome Y. En effet, «l’être humain a, dès tout petit, un rapport auto-érotique : il est à la recherche de sensations qui vont lui donner du plaisir car cela a un effet apaisant, appuie la psychologue clinicienne Sara Piazza, qui mène des recherches sur les normes et pratiques corporelles ainsi que les sexualités et a participé à la rédaction de l’ouvrage Les Sciences du désir. La Sexualité féminine, de la psychanalyse aux neurosciences (éd. Le Bord de l’eau, 2018). Ainsi, jusqu’à 3 ans environ, les petits garçons comme les petites filles se masturbent».

Reste que ces premières expériences masturbatoires vont être refoulées, ajoute Sara Piazza :

«Peu de personnes se rappellent avoir eu une pratique masturbatoire très petits, alors que beaucoup d’enfants le font ; c’est ce que Freud appelle l’amnésie infantile. Le rapport à la masturbation va refaire surface à la puberté.»

Or, la puberté est une époque charnière de socialisation sexuelle. C’est-à-dire «une période de préparation et d’apprentissage de la sexualité», comme le précise Michel Bozon, pendant laquelle «les individus acquièrent des informations de sources très diverses, ont des contacts avec des proches, générateurs d’attentes et de significations, vivent une sociabilité, qui configure un cadre d’exercice de la sexualité». En bref, c’est à ce moment qu’au contact de son entourage on (re)découvre son corps, son intimité et ce qu’est (et surtout ce que l’on pense que doit être) la sexualité.

«Se pignoler» ou «se branler»... mais pour les filles ?

C’est à ce moment que beaucoup de choses se jouent et que le fossé masturbatoire se crée puis se creuse. «Découvrir son intimité n’est pas quelque chose d’évident quand on n’a pas de représentations, pointe Iris Brey, docteure en cinéma et spécialiste de la représentation du genre dans les films et séries. La sexualité, ça s’apprend, c’est comme tout.» Or la masturbation féminine n’est pas souvent présente à l’écran. «Quand on pense à la masturbation masculine, on pense à American Pie. Mais quand on pense à la masturbation féminine, il n’existe pas d’exemple aussi populaire.» Résultat : «l’image des jeunes garçons en train de se masturber fait partie des représentations collectives, ce n’est pas le cas pour les jeunes filles», note Sara Piazza.

Même dans le langage, c’est compliqué. L’expression «se pignoler» est réservée à la gent masculine et sa précieuse «pine». Si la «branlette» est censée englober les deux sexes, de fait, elle est davantage associée au pénis qu’au clitoris. Quoi qu’il en soit, quand il s’agit de masturbation masculine, les synonymes pullulent : s’astiquer le manche ou le poireau, se toucher la nouille, se graisser le salami, se faire reluire…

Pour ce qui concerne le clitoris, la vulve et le vagin, le vocabulaire est plus restreint : au nombre de six, contre une quarantaine côté masculin, fait remarquer Iris Brey. Et, à part «se doigter», les figures de style sont moins connues. «Le plaisir que l’on peut prendre avec est donc indicible ; il n’est pas dicible parce qu’il n’y a pas les mots», appuie Armelle Andro, chercheuse associée à l’Ined et membre de l’équipe qui travaille sur la santé sexuelle et reproductive. Difficile sans langage et sans images associées de se représenter, quand on est une fille, ce qu’est la masturbation.

Se débrouiller seules

Au point que, dans les années 2000, se font jour des cours de masturbation féminine pour femmes adultes, en provenance directe des États-Unis. L’objectif : en cercle et à poil, apprendre à connaître son anatomie, à atteindre l’orgasme et à utiliser un vibromasseur. Étrangement, on n’imagine pas le même cours proposé aux hommes, comme s’ils savaient faire depuis tout petits. Et lorsque l’on fait une recherche «cours de masturbation» sur internet, l’adjectif complémentaire «masculine» apparaît surtout pour apprendre aux femmes à bien prendre en main leur cher et tendre.

Pourtant, les femmes n’ont pas besoin d’un manuel explicatif pour savoir comment se masturber, elles parviennent, encore heureux, à se débrouiller seules, bien que ce puisse être sur le tard par rapport aux hommes (dont l’âge médian à la première masturbation tourne autour de 14 ans). En atteste l’exemple de Margot, 26 ans :

«J’avais 16 ans et je ne m’étais jamais masturbée avant. J’étais en vacances et je rêvassais en fantasmant, sauf que, cette fois-là, j’ai accompagné la rêverie avec ma main sans trop savoir ce que je faisais. C’était un peu par accident. J’ai juste frotté le clitoris et peut-être mis un doigt aussi, je crois. C’était pas du tout rationnel ni réfléchi, je me suis laissée guider par ma pulsion. J’ai ressenti un picotement assez fort qui m’a à la fois fait du bien et m’a un peu effrayée sur le moment, genre "C’est quoi ce truc ?" Mais j’ai compris rapidement et ma légère gêne liée à cette subite auto-érotisation de mon corps a vite été remplacée par l’envie de recommencer.»

C’est bien la preuve que la découverte de son corps et du plaisir que l’on arrive à en tirer peut tout à fait avoir lieu naturellement. «Les jeunes filles peuvent faire l’expérience de leur corps réagissant à certaines stimulations (quand elles font du vélo, quand elles ont envie d’uriner et se tortillent sur une chaise, quand elles se lavent…) et décident de se les approprier, c’est-à-dire de renouveler l’expérience pour provoquer le plaisir sexuel. Elles ne sont plus alors dans une espèce de passivité mais dans une démarche volontaire : "je repère ce qui me plaît et je vais aller plus loin" », souligne Sara Piazza.

Ainsi, «de nombreuses femmes commencent à se masturber par la technique du "grinding", c’est-à-dire en frottant toute la zone génitale sur une surface comme un oreiller ou un matelas», déclare Claire Kim, directrice des programmes du site OMGYes, qui se veut une ressource pratique sur le plaisir des femmes. Ce fut le cas de Stéphanie, 34 ans, dès l’école primaire :

«Je ne savais pas ce qu’était le clito ni s’il y avait une technique ni même comment ça s’appelait, juste que c’était agréable de se frotter contre une serviette de bain ou une housse de couette, c’est tout.»

«Ce n'est pas quelque chose que l'on dit facilement»

Reste que la chape de silence autour de cette pratique n’aide pas. Elle peut être un obstacle à la pratique elle-même. En amont d’abord. «Il y a énormément de femmes qui n’osent pas se masturber, même des féministes qui ont accès à l’information. Ces femmes ne se l’étaient pas autorisé ou n’y avaient pas pensé avant la vingtaine, comme si elles s’interdisaient l’accès à leur propre corps», relève la réalisatrice Nina Faure, qui prépare un documentaire sur le plaisir féminin et a, dans ce cadre, recueilli la parole de nombreuses femmes sur leurs pratiques sexuelles. En aval aussi, car, quand on a l’impression que ce qu’on fait n’est pas normal, on peut en être embarrassée et tout arrêter, ou du moins le cacher.

Si Margot, par exemple, n’a ainsi jamais abordé le sujet avec ses amies, outre en raison d’un vocabulaire et de représentations populaires manquantes, c’est aussi parce que «les filles n’ont pas de "gain" narcissique à en parler, cet acte ne les inscrit pas dans la performance sexuelle. Comme dans le rapport à la sexualité féminine de manière générale, l’activité masturbatoire féminine doit rester discrète, ne pas trop se partager, alors qu’il y a quelque chose de virilisant dans l’affichage de la masturbation masculine, comme un rite de passage, une inscription dans une vie sexuelle active et une reconnaissance de la masculinité», indique Sara Piazza.

Ainsi, même quand les jeunes filles et femmes en parlent entre elles, c’est souvent avec gêne, fait remarquer Iris Brey. La preuve en image dans le film Lady Bird, dans lequel Christine «Lady Bird» et Julie, sa meilleure amie, se partagent, en riant et sans jamais utiliser le terme «masturbation», leurs secrets sur leurs plaisirs solitaires dans la salle-de-bain, jambes écartées sous le jet du robinet de la baignoire ou stimulation avec le pommeau de douche : «Cette scène montre bien la pudeur de l’entrée dans l’âge adulte. Ce n’est pas quelque chose qui se dit facilement, même avec sa meilleure amie.»

La construction sociale des besoins des hommes

En toile de fond, on ne peut s’empêcher d’y voir «une vision du monde qui, s’appuyant sur la place différente occupée par les hommes et les femmes dans le processus de procréation, postule des différences homologues dans la sexualité», celle que retracent Nathalie Bajos, Michèle Ferrand et Armelle Andro dans l’Enquête sur la sexualité en France : «73 % des femmes et 59 % des hommes adhèrent à l’idée selon laquelle "par nature les hommes ont plus de besoins sexuels que les femmes". Cette croyance l’emporte dans toutes les générations, et reste majoritaire chez les jeunes de 18 à 24 ans, surtout chez les femmes.» Ce n’est pas un hasard si le rapport à la masturbation féminine évolue lui aussi avec l’âge. «Entre 18 et 24 ans, une femme sur deux déclare ne s’être encore jamais masturbée, proportion qui tombe à un tiers entre 25 et 49 ans», énumère Michel Bozon dans l’Enquête sur la sexualité en France.

Les hommes auraient donc des besoins sexuels supérieurs ? Ça semble presque logique puisqu’ils se masturbent davantage… Sauf que pas du tout ! C’est une construction sociale. Et cette idée est ancrée dans notre culture depuis plusieurs siècles. La preuve, comme le dépeint Sara F. Matthews-Grieco dans le premier tome de la grande Histoire du corps (Seuil, 2011), «une certaine préoccupation pour la masturbation comme péché spécifique aux garçons commença à apparaître dans le discours théologique au cours du XVIIe siècle». Auparavant, la pratique du sexe solitaire était perçue «juste» comme un péché contre nature qui pouvait éloigner les jeunes gens, quel que soit leur sexe, du mariage et de la procréation. «Les hommes ne se voudront marier, ne les femmes prendre maris, lorsque par ce moyen ils assouvissent leurs appétits impudiques», exposait ainsi Jean Benedicti en 1601 dans Somme des Pechez.

Jouissance vue comme inutile

C’est que, en parallèle, les progrès de la science sont venus mettre leur grain de sel. Tant que l’on pensait que plaisir et fertilité allaient de pair («l’orgasme féminin était considéré comme l’une des conditions indispensables au succès de la procréation : il était censé libérer le "germe" féminin qui, mêlé à celui du mâle, formait un enfant parfait», mentionne ainsi Sara F. Matthews-Grieco), l’orgasme de la femme était recherché lors de l’acte sexuel. «Si son partenaire masculin éjaculait avant qu’elle n’ait atteint l’orgasme, on considérait qu’il était tout à fait souhaitable qu’elle se stimule elle-même pour obtenir soulagement», détaille l’historienne.

L’existence de la masturbation féminine, puisqu’elle était reconnue lors du coït, était admise. La littérature de l’époque la traitait même avec dérision : «Si j’eusse bien pensé que ma fille eût été si vite en besogne, je lui eusse laissé gratter son devant jusques à l’âge de vingt-quatre ans sans être mariée», se récriait dans Les Caquets de l’accouchée (1622) une mère en rendant visite à sa fille, qui venait d’accoucher d’un septième enfant.

Mais, au cours du XVIIIe et au début du XIXe siècles, «la science médicale cesse de considérer l’orgasme féminin comme utile à la génération. […] Il devient simple sensation, forte mais inutile», développe Alain Corbin, dans le deuxième tome de l’Histoire du corps. Ce qui fait voir d’un nouvel œil la jouissance féminine : superflue lors du coït, impensable voire dangereuse en solo !

Pratique occultée

Cette diabolisation du plaisir et du désir féminins a qui plus est été renforcée au XXe siècle, entre autres par le biais de la psychanalyse, rapporte Anne-Marie Sohn dans le tome III de l’Histoire du Corps : «Le clitoris, perçu comme une anomalie "virile", est ainsi durablement dévalorisé, surtout chez les adeptes de la psychanalyse. Freud, en effet, définit la libido comme masculine et conclut que garçons et filles doivent organiser leur sexualité autour du pénis. En l’absence de pénis, la petite fille adopte tout d’abord, par une masturbation clitoridienne, la même conduite que le garçon. Toutefois, à l’âge adulte, la femme doit refuser ce plaisir infantile, interprété même par certains comme un signe de frigidité. Elle doit privilégier le coït vaginal, s’y soumettre par sacrifice et masochisme, sublimer, enfin, le désir du pénis dans l’enfant. La psychanalyse aboutit, de fait mais sous une forme rénovée, à justifier les rôles prescrits aux femmes par la société.» Si tout n’est pas à mettre sur le dos de Freud, l’interprétation qui a été faite de sa pensée a contribué à reproduire des stéréotypes et discriminations existantes.

Voilà comment on en est arrivé à penser que la femme doit nécessairement allier sexualité et conjugalité (comme si c’était ce à quoi elle aspirait naturellement) tandis que l’homme, lui, semble-t-il incapable de se débarrasser du vice de la masturbation parce que porté par nature sur le sexe, n’est que désir et peut donc enchaîner conquêtes et branlettes. On comprend mieux pourquoi la masturbation féminine, en tant que pratique individuelle dissociée d’une relation, a longtemps été occultée. On saisit mieux aussi pourquoi, encore aujourd’hui, la pratique régulière de la masturbation chez les femmes se situe toujours «dans le répertoire de celles qui n’associent pas systématiquement conjugalité et sexualité », à savoir celles qui ont des premiers rapports sexuels précoces et considèrent davantage que l’«on peut avoir des rapports sexuels sans aimer», comme le signale Michel Bozon dans l’Enquête sur la sexualité en France.

Ainsi, derrière cette (pas si anodine) question de la masturbation «se pose le problème de l’émancipation des femmes», indique le sociologue Philippe Liotard, spécialiste du corps et de la sexualité. «On retrouve l’idée que, par tous les moyens, la société doit éduquer les femmes au contrôle pudique de leurs désirs ; il y a un souci social de maîtriser leur plaisir. C’est pourquoi jusque dans les années 1950 la méconnaissance des pratiques sexuelles des jeunes femmes traduisait leur bonne éducation, elles se devaient d’être naïves», poursuit-il. Comme le formule la réalisatrice Nina Faure, «la pudeur du plaisir autonome est en partie liée à l’idée que le plaisir de la femme est censé venir de l’homme».

L'appropriation du gode

Depuis, les choses ont bien changé. «Il est devenu plus légitime socialement pour les femmes de mentionner des pratiques qui étaient jusque-là la prérogative des hommes», observe Michel Bozon dans l’Enquête sur la sexualité en France. On peut remercier Alfred Kinsey et ses travaux sur la sexualité, notamment son ouvrage intitulé Le Comportement sexuel de la femme, traduit en français en 1954. Comme l’explique Anne-Marie Sohn dans Histoire du corps, ce pionnier de la sexologie «est le premier à nier la hiérarchie des orgasmes féminins, si bien qu’en réhabilitant le plaisir clitoridien il conclut que rares sont les femmes à n’avoir jamais connu d’orgasme. Pour Kinsey, la sexualité féminine est donc très proche de la sexualité masculine». Il montre donc que «les différences de comportement ne peuvent-elles être imputées, selon lui, qu’à une socialisation différente».

Autre évolution, notée par Philippe Liotard : «La presse féminine branchée s’est, dans les années 2000, appropriée la question du gode, auparavant restreinte au mouvement militant queer, qui avait exploré la masturbation à des fins politiques, à l’instar de Lynda Hart dans La Performance sadomasochiste – Entre corps et chair ou Beatriz Preciado dans son Manifeste contra-sexuel. Elle, Biba et Cosmopolitan titrent sur le sex-toy, devenu un outil de la panoplie de la femme moderne, qui peut s’offrir du plaisir quand elle le veut. Avoir un sex-toy dans son sac fait sortir la masturbation féminine du registre de la honte et de la dépravation.»

La figure du godemichet est aussi présente dans les séries, elle se fait plus populaire. «Dans l’épisode "Le Lièvre et la tortue", de Sex & the City, le personnage de Charlotte disparaît quand elle découvre le "rabbit", un vibromasseur, et ne veut plus sortir de chez elle. C’est un message assez militant et politique : on montre que la masturbation peut remplacer le coït et qu’il n’y a pas besoin d’homme pour jouir», renchérit Iris Brey, qui a étudié la sexualité féminine dans les séries américaines et en a tiré l’ouvrage Sex and the Series (Soap éditions, 2016).

Le rapport au clitoris, résultat d'un rapport de domination

Seul bémol : la masturbation reste associée au sex-toy et à la pénétration, comme si le clitoris n’existait pas. «L’espace des représentations de la sexualité reste très hétéronormatif, récapitule Armelle Andro. Il y a toujours cette idée que les femmes sont passives et que c’est autour de la pénétration que se situe le nœud du plaisir.» Idem dans la pornographie. «Les représentations dominantes de la masturbation féminine sont très hétérocentrées. Dans les pornos traditionnels, la masturbation est souvent une préparation à la pénétration par une verge», acquiesce le sociologue Philippe Liotard.

Or «les femmes imitent ce qu’elles voient dans le porno. Une des raisons à cela est qu’il y a un manque d’informations sur le sujet, synthétise Claire Kim, d’OMGYes. Les gens étant extrêmement curieux, la moindre information vient combler le vide, même si elle est déformée ou erronée». Conséquence : « les femmes qui découvrent spontanément la masturbation par elles-mêmes vont suivre leurs sensations mais elles peuvent ensuite s’interdire certaines stimulations en raison des représentations qui les entourent », complète la réalisatrice Nina Faure.

En gros, lorsque le legs de notre société patriarcal ne repousse pas la masturbation consciente et proactive et que les femmes se font plaisir, il vient en modifier la teneur a posteriori, voulant imposer son mode d’emploi. «C’est un héritage, résume Nina Faure. On ne peut pas comprendre pourquoi les femmes n’utilisent pas leur clitoris sans analyser les rapports de domination hommes-femmes.»

Heureusement, des éléments viennent, çà et là, changer la donne. Le désir sexuel féminin commence ainsi à se faire voir, du moins sur le petit écran. «Dans l’épisode 6 de la saison 1 de Weeds, le vibro de Nancy n’a plus de piles et elle va démonter son alarme incendie pour pouvoir terminer. Il y a aussi une scène dans le troisième épisode de la première saison de Girls où Marnie se masturbe après un échange verbal avec Booth Jonathan. On n’attend pas ça d’elle, car c’est une jeune femme coincée, mais le désir surgit, il y a cette notion d’assouvir une pulsion, une envie irrépressible à soulager, que l’on associait à l’univers masculin», retrace Iris Brey.

L’arrivée de l’anatomie du clitoris dans les manuels scolaires participe aussi du phénomène, tout comme l’existence de la plateforme OMGYes, où les femmes font part de leurs préférences sexuelles – un partage horizontal et sans injonction. «On sort d’une espèce d’excision mentale», s’exclame Armelle Andro. Est-ce un hasard si, en 2017, 74 % des femmes disaient s’être déjà masturbées contre 60 % en 2006 ? Comme quoi, même quand il s’agit (simplement) de se donner du plaisir, tout est question d’éducation (sexuelle).