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    Pourquoi le physique de Ryan Gosling s'est retourné contre lui

    Son image de pin-up éclipse tout, même son talent. Et il n'est pas le seul à Hollywood: à de rares exceptions près, les beaux gosses ne sont pas considérés comme des bons acteurs.

    Ryan Gosling est beau. Il est tellement beau qu’on dirait qu’il est photoshoppé. Tellement beau que j’ai un pull à son effigie. Tellement beau que des photos de lui sont utilisées pour rendre le féminisme plus sexy. Tellement beau qu’il existe une extension permettant de transformer toutes les images sur votre ordinateur en photos de lui. Tellement beau qu’internet le trouve plus mignon que des chiots. C’est «le beau gosse d'Hollywood», voire carrément l’homme le plus beau du monde.

    C’est un des acteurs les plus connus de sa génération. Pourtant, il n’a joué que dans une vingtaine de films en 20 ans (en comparaison, Jennifer Lawrence a joué dans autant de films en huit ans). Il est loin de faire partie de la liste des acteurs les mieux payés d’Hollywood. Plus surprenant encore, Ryan Gosling n’est pas vraiment considéré comme un grand acteur.

    Il est «inexpressif», c’est «l’acteur ayant l'expression faciale la plus monolithique possible». «Il a un peu toujours le même rôle dans ses films.» Ses rôles sont considérés comme peu exigeants, puisqu'ils ne contiennent presque pas de dialogues. Sa gamme d’acteur serait infime, à tel point que des vidéos moqueuses pullulent sur internet.

    La carrière de Ryan Gosling est constituée de films plus ou moins confidentiels, dans lesquels il a incarné, entre autres, un juif néo-nazi, un prof accro au crack, un autiste bedonnant, un mari alcoolique et dégarni, un meurtrier, un avocat, un trader. Mais le grand public le connaît sans doute mieux pour deux grands rôles de beau gosse: le romantique Noah dans N'oublie jamais, et l'expert en drague aux abdos photoshoppés dans Crazy Stupid Love. Ces deux rôles, ainsi que le succès de Drive, ont façonné l'image de l'acteur, qui reste celle du beau mec taiseux, l’archétype des séducteurs. Et le physique de Ryan Gosling semble avoir un tel poids dans sa représentation médiatique qu’il éclipse tout le reste, y compris son talent, certains allant même jusqu'à dire que «Drive serait mieux si Ryan Gosling était gros».

    Bien sûr, être séduisant n'est pas vraiment un handicap, c'est même un privilège: de manière générale, les personnes attirantes ont plus de facilités à être recrutées et bénéficient d'énormes avantages sociaux et professionnels. Cependant, la beauté s'accompagne aussi de clichés négatifs: ce n'est pas pour rien si les blondes, considérées comme un idéal dans nos normes de beauté, continuent à être perçues comme moins intelligentes.

    Les talents d'acteur de Ryan Gosling seraient-ils plus appréciés si ce dernier était moins beau? «Il y a une idée subconsciente à propos des gens beaux, que tout est plus facile pour eux. C’est vrai pour Ryan Gosling, pour Tom Cruise, pour Brad Pitt. Ils doivent travailler plus dur pour prouver qu’ils peuvent jouer aussi bien que les autres», analyse Betty Kaklamanidou, professeure en histoire et théorie du cinéma à l’université Aristote de Thessalonique, en Grèce.

    L'Oscar du meilleur acteur, interdit aux minets

    Car Ryan Gosling n’est pas le seul acteur à être connu pour son physique de rêve et à devoir prouver que son talent ne consiste pas uniquement à être plus agréable à regarder que la moyenne. Il suffit de jeter un œil au plus haut critère de succès d'un acteur à Hollywood: l'Oscar du meilleur acteur. Sauf de très rares exceptions, ce prix est toujours attribué à un homme d'âge mûr, dont la caractéristique principale n'est pas d'être beau (même s'ils sont tous acteurs, donc loin d'être ignobles): Daniel Day-Lewis, Colin Firth, Jeff Bridges, Sean Penn, Roberto Benigni, Forest Whitaker, Philip Seymour Hoffman, Kevin Spacey. Ces 50 dernières années, seuls cinq hommes de moins de 35 ans ont eu droit à la petite statuette. Un seul de moins de 30 ans: Adrien Brody, pour Le Pianiste, avait 29 ans.

    Paul Newman, un des «beaux gosses» les plus célèbres d'Hollywood, a été nommé dix fois au cours de sa carrière, mais n’a obtenu le fameux trophée qu’à... 61 ans. Leonardo DiCaprio, qui a aussi été très longtemps catalogué «beau gosse», a dû attendre ses 41 ans pour l'avoir, après cinq nominations.

    Une tendance que confirme Betty Kaklamanidou à BuzzFeed News: «Robert Redford n’a été nommé à l’Oscar du meilleur acteur qu’une seule fois, et il n’a jamais gagné. Les mecs sexy de l’époque comme Richard Burton (six nominations), ou Cary Grant, n’ont jamais eu l’Oscar.» Pareil avec les beaux gosses des années 90: Johnny Depp, nommé trois fois, n’a jamais gagné d’Oscar.

    «Brad Pitt a eu trois nominations, pas d’Oscar. Tom Cruise a été nommé trois fois, mais n’a jamais gagné. Je me souviens quand il était nommé pour Magnolia. Il était superbe dans ce film. Et il a perdu face à Michael Caine, pour qui c’était le deuxième Oscar! Je me suis dit que c’était vraiment une injustice.»

    Selon Anne Lincoln, professeure de sociologie à l’université méthodiste du Sud à Dallas, «les Oscars sont comme des promotions».

    «Ryan Gosling a mis dix ans avant d’être nommé pour la première fois, mais quand on y pense comme à une promotion, cela prend du temps de développer des compétences, un réseau, etc. Au bout de dix ans, si vous avez tout ça, vous pouvez y arriver. Et cela le met sur le radar d’un plus grand groupe de gens, il fait désormais partie d’une classe d’élite. En moyenne, cela prend une autre décennie pour recevoir une deuxième nomination.»

    Un acteur a aussi plus de chances de remporter un Oscar si son rôle «l'éloigne de l'image publique qui lui a été attribuée», explique Betty Kaklamanidou. Ainsi, Leonardo DiCaprio, qui fut un temps la coqueluche des ados, a non seulement attendu la quarantaine pour son Oscar, mais il l'a aussi obtenu grâce à un rôle peu séduisant, on ne peut plus éloigné du beau Jack de Titanic. D'ailleurs, son rôle dans Le Revenant était le premier à être aussi radicalement éloigné du glamour de ses rôles habituels –ses précédents films incluaient Le Loup de Wall Street, Gatsby le Magnifique, ou Inception. Certes, il était un peu moins sexy dans J. Edgar ou Django Unchained, mais au moins, il était propre et bien sapé. Le Revenant lui permettait enfin de cocher les deux cases: pas trop jeune, et pas trop beau.

    Pour qu’un homme soit reconnu par ses pairs à Hollywood, il semblerait donc que ces deux critères soient un atout. Pas surprenant quand on sait que l’Académie des Oscars, même avec ses 683 nouveaux membres censés promouvoir une plus grande diversité, reste à 73% composée d’hommes, et que la moyenne d’âge parmi les votants est autour de 60 ans.

    Peut-être que Ryan Gosling est né à la mauvaise époque, car cela n'a pas toujours été comme ça. L’ère des grands acteurs au physique parfait est révolue. L’époque du Nouvel Hollywood, dans les années 1970, a marqué un changement dans l’histoire du cinéma. C’est l’arrivée des grands réalisateurs comme Martin Scorsese, Steven Spielberg ou Francis Ford Coppola. Avec eux débarque «une nouvelle génération d’acteurs, qui ne sont plus identifiés par leur physique mais par la qualité de leur jeu d’acteur: Al Pacino (huit nominations, un Oscar), Robert de Niro (sept nominations, un Oscar), Dustin Hoffman (sept nominations, deux Oscars), Jack Nicholson (deux Oscars)» explique Betty Kaklamanidou.

    Pin-up moderne

    Or, Ryan Gosling est quasi-exclusivement défini par son physique; en gros, Ryan Gosling est une pin-up moderne. L’acteur, qui aurait refusé, plusieurs fois apparemment, d’être nommé l’Homme le plus sexy du monde par le magazine People, est loin d'apprécier ce statut habituellement réservé aux femmes: «(...) je dois parler de mon abdomen à de complets inconnus de façon quotidienne», déplorait-il après son rôle dans Crazy Stupid Love. Un sort qui ferait sans doute rire jaune la plupart de ses collègues féminines, réduites à des objets de façon permanente.

    Eh oui: à l'ère d'internet, les hommes sont renvoyés à leur apparence physique d'une manière beaucoup plus frontale et invasive qu'auparavant. Les posters suggestifs collés dans les chambres d'ados ont été remplacés par des pans entiers d'internet consacrés à la taille du pénis de l'un, ou à la façon de l'autre de sortir ses poubelles. Ryan Gosling, mais aussi d'autres stars masculines, se retrouvent soumis à une sexualisation que les femmes connaissent depuis toujours. Jon Hamm, l'acteur principal de Mad Men, n'avait par exemple pas apprécié il y a quelques années qu'internet s'extasie devant la taille de son paquet.

    Pour les femmes, le problème inverse

    Mais la différence, c'est qu'être uniquement défini par son apparence reste la norme quand il s'agit des femmes. Les actrices, elles, sont donc dans une situation inverse: leur beauté et leur jeunesse est toujours leur atout le plus important. Cela se retrouve, encore une fois, dans les statistiques des Oscars: en comparaison, l'Oscar de la meilleure actrice est beaucoup plus souvent attribué à une femme plus jeune. Hilary Swank, Natalie Portman, Jennifer Lawrence, Brie Larson, Marion Cotillard, Reese Witherspoon avaient toutes entre 25 et 35 ans quand elles l'ont eu. Barbra Streisand: 26 ans. Julie Andrews: 29 ans pour Mary Poppins. Grace Kelly: 25 ans. Audrey Hepburn: 24 ans. Gwyneth Paltrow: 28 ans. Julia Roberts: 33 ans. Charlize Theron: 28 ans.

    Pourquoi une telle différence avec leurs confrères masculins? À cause du sexisme, tout simplement. Anne Lincoln explique que les femmes ont une «durée de vie» plus courte à Hollywood.

    «On voit bien cette porte tournante pour les femmes, dit Anne Lincoln. La plupart des rôles à Hollywood sont hétérosexuels, et les acteurs sont mis en couples avec des femmes de 20 ans plus jeunes, alors il y a forcément moins de rôles pour les femmes plus âgées. Il y a des exceptions comme Meryl Streep, mais beaucoup d’actrices sont généralement hors-jeu après 30 ou 35 ans.»

    Bien sûr, l’attribution d’un Oscar relève de nombreux facteurs, certains plus opaques que d’autres: la qualité du film, le sujet qu’il aborde, la campagne marketing, le réseau des acteurs, etc. Mais certains chiffres sont difficiles à ignorer, surtout quand on connaît la difficulté d’être une femme à Hollywood passé 35 ans.

    «Les hommes vieillissent pour devenir des personnes plus distinguées, et sont vus différemment. Je pourrais complètement imaginer les gens qui votent aux Oscars se dire “peut-être que Jennifer Lawrence ne sera plus dans le coin dans dix ans, il vaut mieux que je vote pour elle maintenant."»

    Les hommes, quant à eux, ont beaucoup plus de temps pour gravir les échelons au cours de leur carrière. «Les hommes restent plus longtemps. Et devinez quoi: en ayant eu tout ce temps, ils ont de meilleures chances de développer le réseau et les compétences nécessaires pour des rôles qui mériteront un Oscar. Donc les hommes plus âgés ont plus de chances d’obtenir ces rôles-là», conclut Anne Lincoln.

    Les séries, nouvelle porte d'entrée à Hollywood

    Certain-e-s n'ont pas la patience d'attendre. C'est pourquoi ils ou elles sont de plus en plus nombreux à se tourner vers un nouveau support: la télévision. Car, comme l'explique Betty Kaklamanidou, notre rapport au cinéma a été bouleversé ces dernières années. De plus en plus souvent, «les récits compliqués et les personnages multi-dimensionnels se trouvent sur le petit écran», où ils ont le temps d’être développés sur trois, quatre, voire dix saisons. On y trouve d'ailleurs de nombreux acteurs oscarisés comme Kevin Spacey (House of Cards), ou Jessica Lange et Kathy Bates (American Horror Story), actrices presque septuagénaires qui trouvent une nouvelle chance d'exprimer tout leur talent à un âge où Hollywood aurait plutôt tendance à les oublier. En recevant un Golden Globe pour American Horror Story, Jessica Lange avait d'ailleurs déclaré, émue: «Chaque année, il est de plus en plus rare de trouver un rôle vraiment beau, et qui me donne quelque chose à faire.»

    Et puis il y a les acteurs de cinéma qui n'ont jamais été reconnus à leur juste valeur, et qui ont enfin la chance de briller grâce à la télé. Kerry Washington, pourtant très prolifique au cinéma, n'a vraiment atteint le succès qu'en 2012 avec la série Scandal, dont elle est l'héroïne. Viola Davis, actrice au CV bien rempli, connaît un envol spectaculaire depuis sa performance époustouflante dans la série How to get away with murder, pour laquelle elle a remporté un Emmy. Après plusieurs nominations, elle a de fortes chances de recevoir un Oscar cette année, pour son rôle dans Fences. Et ce n’est sans doute pas un hasard si la «McConnaissance», c’est-à-dire la «renaissance» de la carrière de Matthew McConaughey, a atteint son pic début 2014, avec son rôle acclamé dans True Detective, la série de HBO. Trois mois plus tard, McConaughey remportait l’Oscar du meilleur acteur, pour son rôle dans Dallas Buyers Club.

    Ryan Gosling n'aura peut-être pas à attendre patiemment ses 45, 50 ou 60 ans avant d’avoir son Oscar puisqu'il est, à 36 ans, nommé pour la deuxième fois à l'Oscar du meilleur acteur pour son rôle dans La La Land (sa première nomination était il y a dix ans pile, pour Half Nelson). Si l'Oscar lui échappe, il lui restera encore une solution pour être enfin pris au sérieux: se remettre à la télé, dans laquelle sa carrière a débuté il y a presque 25 ans –même si cette fois-ci, il faudra faire mieux que le Mickey Mouse Club.

    CORRECTION

    Burt Lancaster, un des beaux gosses historiques d'Hollywood, a remporté l'Oscar du meilleur acteur à 47 ans. Une version précédente de cet article confondait Burt Lancaster avec Richard Burton, autre bel homme d'Hollywood qui, lui, n'a jamais remporté l'Oscar du meilleur acteur malgré ses 6 nominations.