Aller directement au contenu

    Chers Youtubeurs, nous n'avons rien contre votre argent, mais...

    Le business des vidéos en ligne soulève de nombreuses questions éthiques et légales, bien au-delà du compte en banque des Youtubeurs.

    Les journalistes qui souhaitaient interroger des Youtubeurs au salon Vidéo City à Paris les 7 et 8 novembre ont été «briefés» à l'avance: pas de question sur l'argent. Cela n'a pas empêché la presse de se pencher sur le sujet ces derniers jours:

    Pas question d'interroger les Youtubeurs sur «les questions qu'ils en ont marre d'entendre» comme celles sur l'argent. L'organisation de Vidéo City a demandé à BuzzFeed de les interroger sur des sujets plus légers pour ne pas les fâcher.

    Une journaliste de France Info affirme même que plusieurs de ses interviews ont été annulées après qu'elle a posé la question de l'argent à une Youtubeuse.

    Ces articles, qui s'interrogent sur le business de la vidéo en ligne, n'ont pas plu au blogueur Korben. Ce dernier ironise, dans un post intitulé «Chers Youtubeurs»:

    «Vous gagnez de l'argent avec la pub ce qui pour beaucoup de personnes dans les médias ou ailleurs, est synonyme de haute trahison.»

    Et de conclure:

    «Vous êtes actuellement les reines et les rois du net et vous n'avez jamais eu besoin des anciens médias, pour exister. Alors par pitié, arrêtez de jouer leur jeu.»

    Plusieurs Youtubeurs bien connus se sont empressés de saluer ce post de blog qui prend leur défense face aux «questions débiles posées par des has-been».

    Excellent article qui parle de Youtube ! A lire absolument : https://t.co/AIq0zKqxsl via @korben

    Merci @Korben pour ça https://t.co/URG9TyVnLF

    Un refrain récurrent sur les réseaux sociaux ces derniers jours, aussi bien repris par certains créateurs...

    Voici un article du Monde très décevant et très faux. Pour les YTers, faire des vidéos est une passion avant tout : https://t.co/yW4h6kOOeB

    ... que par leurs fans.

    Faudra m'expliquer pourquoi ça vous fait tant chier que les youtubers ou autres aient du succès/gagnent de l'argent #LaJalousieVousEtouffera

    @lerirejaune "Mon dieu, des gens plus jeunes que nous gagnent mieux leurs vies que nous, vite faisons un article pour les critiquer !"

    Selon cette petite musique ambiante, s'intéresser au business de la vidéo en ligne reviendrait forcément à être jaloux, aigri, inculte et dans tous les cas, mal intentionné.

    C'est connu: au-delà des revenus liés directement au nombre de vues sur leurs vidéos, les podcasters peuvent gagner de l'argent grâce aux marques, qui les payent pour faire leur promotion.

    Ce que pointent en revanche les articles du Monde et de L'Express moqués par Korben, ce sont pourtant des pratiques parfois illégales.

    Par exemple, le fait que des vidéos ou des messages sur les réseaux sociaux soient sponsorisés par des marques sans que les consommateurs puissent être au courant.

    L'article 20 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) exige pourtant que toute publicité soit «clairement identifiable», sous peine de relever des pratiques commerciales trompeuses, qui peuvent être punies par des peines allant jusqu'à 300 000 € d'amende et/ou 2 ans d'emprisonnement.

    S'interroger sur les conditions des partenariats entre créateurs de vidéos et marques n'est pas une lubie française: au Royaume-Uni, l'Advertising Standards Authority (ASA), l'instance d'auto-régulation de la publicité, demande aux podcasteurs de mentionner clairement tout partenariat dès le titre ou la vignette de la vidéo, racontait la BBC en 2014.

    Dire cela ne revient pas à interdir aux Youtubeurs de faire de l'argent via des partenariats. L'exemple de Norman avec Crunch montre qu'on peut faire de la publicité pour une marque sur sa chaîne de manière transparente et faire des millions de vues quand même.

    S'intéresser au business des Youtubeurs, c'est aussi poser la question des networks, ces réseaux qui accompagnent les créateurs en l'échange d'une commission -de l'ordre de 10 à 40% des revenus, selon les cas.

    Squeezie, Norman et Cyprien, trois des français les plus suivis sur Youtube, sont ainsi associés à Mixicom. Un network qui fait aussi office d'agence de communication et qui appartient au groupe Webedia, éditeur notamment des sites allocine.com et jeuxvideo.com.

    Un tel assemblage d'activités peut donc légitimement poser la question de possibles conflits d'intérêts -question à laquelle les grands groupes de presse n'échappent pas d'ailleurs.

    D'autant que ces réseaux n'ont pas toujours des pratiques tout à fait honorables. Plusieurs acteurs du marché ont déjà accusé en «off» leurs concurrents de glisser des clauses illégales dans les contrats des Youtubeurs. Des créateurs de vidéo nous ont aussi déjà confirmé, toujours en «off», avoir été abordés par des réseaux mal intentionnés avec des contrats douteux -avec une clause d'exclusivité «à vie» par exemple, ce qui est illégal. Des accusations difficilement vérifiables quand personne ne veut s'exprimer publiquement sur le sujet.

    Signe des relations parfois tendues entre les poules aux œufs d'or et leur réseau, Squeezie avait fait cette précision par écrit en 2014 à L'Express:

    «Sachez qu'en rien Wizdeo (son réseau à l'époque, ndlr) ne m'a aidé pour autre chose que des "problèmes" administratifs (...) Ils ne m'ont en rien aidé à trouver des jeux ou des idées pour des vidéos sur ma chaîne.»

    Enfin, les Youtubeurs sont parfois les premiers à s'interroger sur le modèle qui sous-tend leur activité et ses limites.

    Car tous les créateurs ne sont pas richissimes, loin de là. Le Youtubeur Benjamin Brillaud, alias Nota Bene (une chaîne dédiée à l'Histoire), expliquait lui à Vidéo City samedi 7 novembre que certains mois, les revenus liés à ses vidéos atteignaient péniblement la barre des 300 euros. Et de s'interroger sur le modèle économique des vidéos «sérieuses», qui réalisent des vues nettement inférieures à celles des poids lourds du divertissement.

    Des créateurs connus comme Usul ou e-penser, dont les revenus publicitaires ne suffisent pas à leur assurer un salaire correct, font ainsi appel aux dons d'internautes sur le site Tipeee pour se financer.

    S'il fallait le préciser, poser ces questions n'enlève rien au talent, ni à l'honnêteté et encore moins à la sincérité de la majorité des Youtubeurs. Ni au fait que la posture de certains médias «traditionnels» face au phénomène a de quoi agacer.

    Contacté par BuzzFeed, Korben n'a pas répondu à nos sollicitations.

    Suivez-nous sur Facebook et Twitter.