Aller directement au contenu

    La transaction secrète entre Baylet et son ex-collaboratrice qui l’accusait de violences

    Info BuzzFeed - L'actuel ministre a été visé par une plainte pour violences en 2002, soldée par une transaction secrète. Une affaire qui pourrait embarrasser le gouvernement.


    MISE À JOUR le 11 octobre: La députée Isabelle Attard a interrogé Jean-Michel Baylet mardi 11 octobre à l’Assemblée après nos révélations. «On peut tout romancer mais il y a eu une instruction judiciaire dans cette affaire et elle a été classée sans suite», a répondu Jean-Michel Baylet. Il n'a pas évoqué la transaction secrète.


    Jean-Michel Baylet a fait son grand retour au gouvernement lors du dernier remaniement, le 11 février dernier. Après un poste de secrétaire d'État auprès du ministre des Relations extérieures, de 1984 à 1986, un autre sur les collectivités locales de 1988 à 1990, et un poste de ministre délégué au Tourisme entre 1990 et 1993, l'héritier de la dynastie Baylet est désormais ministre de l'Aménagement du territoire, de la Ruralité et des Collectivités territoriales.

    L'ancien ministre de Mitterrand a dû patienter sagement avant de revenir au gouvernement après 23 ans d'absence. Juste après l'élection de François Hollande, il rate le coche: le président de la République ne veut pas de ministre mis en examen et Jean-Michel Baylet est alors mis en examen pour favoritisme (dans laquelle il sera finalement relaxé). Rebelote pour le gouvernement Valls, au printemps 2014: Baylet vient d'être mis en examen dans une affaire de frais de bouche.

    En novembre 2014, Jean-Michel Baylet bénéficie d'une ordonnance de non-lieu. C'est ainsi qu'en février dernier, François Hollande a enfin pu le solliciter.

    Dans la presse, les nombreux portraits qui ont accompagné sa nomination évoquent sa fidélité à Hollande enfin récompensée, ses mises en examen et ses non-lieux, son surnom de «président-empereur» dans son fief du Tarn-et-Garonne ou encore son goût pour le rugby et le ski.

    Mais un élément n’est pas remonté à la surface: en 2002, Jean-Michel Baylet était accusé par son assistante parlementaire, Bernadette Bergon, de l’avoir frappée et forcée à démissionner. L'affaire a été classée sans suite. Mais d'après les informations obtenues par BuzzFeed News, le sénateur a passé à l'époque une transaction secrète avec la victime pour éviter toutes suites.

    «Il m’a porté des coups essentiellement au visage»

    Les faits remontent à la soirée du samedi 9 février 2002. Jean-Michel Baylet est alors sénateur du Tarn-et-Garonne, et Bernadette Bergon est son assistante parlementaire depuis 1998. Ce soir-là, elle le rejoint dans sa maison de Valence d’Agen, dont il a été maire pendant 24 ans. D’après ce qu'elle a déclaré à la gendarmerie, Jean-Michel Baylet l'a frappée, «au visage» à plusieurs reprises.

    Le patron des radicaux de gauche l’aurait ensuite «contrainte, sous la menace de nouveaux coups, à rédiger sous sa dictée une lettre de démission», datée du dimanche 10 février 2002:

    «Monsieur le sénateur. Par la présente je vous prie d’accepter ma démission de mon emploi d’assistante parlementaire. Pour des raisons qui me sont personnelles, je ne souhaite plus assurer ces fonctions; je vous signale également que je ne souhaite pas bénéficier de mon préavis.»

    Le lundi suivant, le 11 février, Bernadette Bergon porte plainte auprès de la gendarmerie de Toulouse. Lors d'une audition datée du 15 février 2002 dans le cadre de l'enquête préliminaire, elle décrit dans un premier temps la personnalité de Baylet qui, s’il peut se montrer «charmant» et «attentionné», pouvait aussi être «caractériel», «impulsif voire violent». Elle confirme aussi avoir été frappée de plusieurs coups, comme elle l’avait déjà déclaré lors de son dépôt de plainte. Elle précise notamment:

    «Il m’a porté des coups essentiellement au visage.»

    Selon le PV de son audition que nous avons pu nous procurer, l’actuel ministre lui aurait ensuite demandé de quitter les lieux, alors qu’elle était «entièrement dévêtue et pieds nus».

    Elle ajoute: «Il m’a uniquement rendu mes lunettes de vue et la clé de chez mes parents», dont la maison était à deux pas. Le policier chargé de l’enquête lui demande alors si elle considère avoir «été séquestrée durant les faits».

    «Il est vrai qu’il a conservé les clés de sa chambre au départ. Cependant par la suite, nous nous sommes rendus au rez de chaussée comme je vous l’ai précisé (...) Si je n’en ai pas profité pour m’enfuir alors que j’aurais pu éventuellement le faire, c’est parce que je craignais ses réactions violentes», répond-elle aux policiers en précisant qu’une fois chez elle, son fils a constaté «que je présentais des traces de coups au visage».


    Finalement, cette affaire sera classée sans suite par le parquet de Montauban.

    Seuls quelques journaux évoquent l’affaire

    Passée inaperçue à l’époque, cette affaire avait toutefois été évoquée par Paris Match en mai 2003 de manière vague, puisque ni le nom de Jean-Michel Baylet ni celui de Bernadette Bergon n’étaient cités.

    Il a fallu attendre 2006 pour que le quotidien France Soir l’évoque en une. Le 13 décembre de cette année, le journal titre «Baylet cogneur radical» avec, en pages 4 et 5, tous les détails de la soirée telle que racontée par Bernadette Bergon à la gendarmerie. «Droit des femmes: les arguments frappants de Jean-Michel Baylet» tacle le quotidien. Il entend afficher les contradictions du président du Parti radical de Gauche, soutien de Ségolène Royal à la présidentielle - alors que la candidate veut justement faire adopter une loi contre les violences faites aux femmes.

    Connu pour être procédurier, Jean-Michel Baylet porte plainte contre France Soir, et le journal est condamné par le TGI de Nanterre, le 15 novembre 2007, puis par la cour d’appel de Versailles, le 18 décembre 2008.

    Sauf que le sénateur n’a pas porté plainte pour diffamation, mais pour atteinte à la vie privée. La cour pointe d’ailleurs le fait que le ministre ne conteste aucun fait évoqué par Bernadette Bergon. Dans un arrêt que nous nous sommes procuré, les magistrats précisent:

    «Il convient d’observer que si certains passages de l’article incriminé, notamment le paragraphe intitulé "Menace et coup", contiennent des imputations de coups et blessures volontaires et d’extorsion d’une lettre de démission sous la menace de coups, lesquelles sont de nature à porter atteinte à l’honneur (...) de Monsieur Baylet, ce dernier n’a toutefois pas entendu reprocher à la société éditrice (France soir, ndlr) de telles imputations».

    En 2007, le site Bakchich évoque aussi cette affaire, mais le journal en ligne n'est depuis plus actif et l'article n'est plus consultable sur le site. D'après nos informations, Jean-Michel Baylet n'aurait pas attaqué cette rédaction en justice.

    Une transaction secrète entre Baylet et Bergon

    Comment alors, expliquer que cette affaire n'ait pas eu plus de retentissement? D’après un document que nous nous sommes procuré, le sénateur avait après les faits passé une transaction secrète avec Bernadette Bergon.

    En 2005, cet accord a été vaguement évoqué par Dominique Baudis dans son livre Face à la calomnie, qui reprenait les éléments publiés par Paris Match. Mais encore une fois, les noms de Baylet et de Bergon n'étaient pas rattachés directement à cette affaire. Baudis évoquait «cette jeune femme, attachée parlementaire, séquestrée et battue pendant toute une nuit par son employeur». Il ajoutait:

    «Paris Match a révélé en mai dernier cette "affaire de violence, avec coups et blessures". La victime a porté plainte, sa famille a témoigné. Le parlementaire qui avait séquestré et frappé sa collaboratrice pendant des heures a été entendu. Mais, ainsi que l'écrivait Paris Match, l'affaire s'est terminée "par une transaction entre les deux parties!".»

    Ancien maire de Toulouse mort en 2014, Dominique Baudis était aussi l'ennemi juré de Jean-Michel Baylet qu’il accusait d’alimenter un complot à son encontre (la sombre affaire Alègre) grâce à son journal La Dépêche du Midi.

    Pourquoi le parquet a-t-il classé sans suite cette affaire?

    Le 2 mai 2006, Bernadette Bergon assigne en référé Dominique Baudis pour avoir révélé de manière implicite sa transaction secrète avec Baylet. Et dans l’assignation en référé que nous avons pu consulter, son avocat confirme ladite transaction:

    «Le dommage subi par la requérante à la suite de ces révélations intimes est important: en effet, la transaction à laquelle Dominique Baudis fait allusion a été conclue sous la foi du secret, ce qu’avait expressément indiqué à Bernadette Bergon lorsque mise en confiance par la «famille» Baudis qui l’a conviée à un entretien privé, elle a évoqué les circonstances de l’affaire l’ayant opposée à Jean-Michel Baylet.»

    Contactée par BuzzFeed News, Bernadette Bergon n'a pas souhaité évoquer la transaction. Elle confirme avoir retiré sa plainte et indique que «[son] intérêt n'était pas de poursuivre la procédure étant donné que [son] fils est très ami» avec le fils de Jean-Michel Baylet.

    Au-delà de l’étonnant silence autour de cette affaire, plusieurs questions restent en suspens: dans quelles conditions le parquet de Montauban a-t-il classé sans suite cette procédure? Alors qu’il pouvait continuer à instruire l’affaire malgré le retrait de la plainte et la transaction, a-t-il reçu des pressions politiques?

    Enfin, si la consigne présidentielle interdit à toute personne mise en examen d’entrer ou de rester au gouvernement, qu'en est-t-il pour ceux qui ont passé une transaction après avoir été accusés de violences?

    D'autant que le président François Hollande n'a pas manqué de rappeler le 8 mars dernier que «la lutte contre les violences faites aux femmes est une exigence, pas une priorité. C'est une exigence!». Même chose au Parti radical de Gauche qui s'est fendu d'un communiqué à l'occasion de la journée internationale des droits des femmes pour «réaffirmer [sa] mobilisation totale dans la lutte contre les violences dont les femmes».

    BuzzFeed News a tenté de joindre par mail le ministre Jean-Michel Baylet qui n'a pas donné suite. Son cabinet au ministère de l'Aménagement du territoire précise par téléphone:

    «Le ministre ne répondra pas à vos questions. Nous ne donnons aucune interview en ce moment.»

    Correction: Le parquet de Montauban avait classé l'affaire à l'époque. Une première version de l'article évoquait le parquet de Toulouse.


    Mise à jour le 9 mai: ajout d'un extrait de l'assignation en référé et de l'enquête préliminaire