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    En 11 ans, il n’y a eu que 6 rétrospectives de réalisatrices à la Cinémathèque

    BuzzFeed News a compté et l'institution n'a consacré que six rétrospectives (et aucune exposition) à des femmes cinéastes depuis septembre 2005.

    Le 16 février, le blog Le genre et l'écran a publié un texte intitulé «Cinémathèque: Dorothy Arzner dans l’œil du sexisme».

    Cette tribune revient sur la rétrospective Dorothy Arzner à la Cinémathèque et sur le texte de son catalogue, jugé dévalorisant.

    «La Cinémathèque française organise la rétrospective d’une réalisatrice pour mieux la dévaloriser», écrit Manon Enghien.

    Un chiffre qui figure dans le texte nous a fait tiquer: l'institution n'aurait consacré que sept rétrospectives sur 293 à des réalisatrices depuis son installation dans ses locaux du parc de Bercy (en septembre 2005).

    «L’institution est connue pour sa réticence à rendre hommage aux réalisatrices», tacle le texte. Et de demander:

    «On se demande pendant combien de temps le Centre national de cinématographie et le ministère de la Culture, ses financeurs, cautionneront l’écriture d’une histoire du cinéma aussi misogyne.»

    La Cinémathèque aurait-elle oublié de rendre hommage aux femmes cinéastes? Selon son directeur, Frédéric Bonnaud, contacté par BuzzFeed News, ces chiffres «sont faux».

    «Je compte quatre rétrospectives de femmes sur la dernière année, avance-t-il, je ne pense pas que depuis 2005 on ne trouve que trois autres cycles consacrés à des réalisatrices. Ce n’est pas possible. Avant d’être le directeur, j’ai été journaliste et j’ai assisté à un certain nombre de présentation de cycle de femmes, je vous assure qu’il y en avait plus.»

    Mais si on se base sur le site de la Cinémathèque, on ne trouve pourtant que six rétrospectives consacrées à des réalisatrices.

    Nous avons regardé les expositions et les rétrospectives qui figurent dans l'«historique de la programmation», ainsi que la programmation actuelle.

    De septembre 2005 à aujourd'hui, nous n'avons trouvé que six femmes cinéastes: Dorothy Arzner, Michèle Rosier, Annett Wolf, Caroline Champetier, Naomi Kawase, Catherine Breillat.

    On peut ajouter à ces réalisatrices six rétrospectives concernant des actrices qui ont également réalisé quelques films (Ida Lupino, Jane Birkin, Christine Pascal, Juliet Berto, Delphine Seyrig, Jeanne Moreau), neuf concernant des actrices (Ingrid Bergman, Bernadette Lafont, Bette Davis, Bulle Ogier, Pola Negri, Danielle Darrieux, Juliette Binoche, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert) et un hommage à une pionnière des archives cinématographiques, Kashiko Kawakita.

    Au total, cela ferait donc, sur 305 programmations, 22 programmations consacrées à des femmes (qu'elles soient réalisatrices, actrices ou cinéphiles), 198 consacrées à des hommes, et 100 programmations thématiques (comme par exemple «American Fringe», «Le mélodrame français», «Cinémas de Singapour»...).

    Si l’on ne regarde que les expositions, événements plus médiatisés, c’est encore pire puisque sur les 18 expositions listées par le site de la Cinémathèque, aucune n’est consacrée à une femme.

    On compte quinze expos dédiées à des hommes (Gus Van Sant, Martin Scorsese, Michelangelo Antonioni, François Truffaut, Amos Gitai, Pasolini, Jean Cocteau, Jacques Demy, Maurice Pialat, Tim Burton, Stanley Kubrick, Georges Méliès, Sacha Guitry, Pedro Almodóvar) et trois expos thématiques: sur les photos de tournages de 1910 à 1939, sur l’histoire de la technique («de Méliès à la 3D»). Quant à l’exposition «Brune/Blonde» elle abordait, elle, les cinéastes «de la chevelure» (la présentation évoque Buñuel, Godard, Bergman, Hitchcock).

    «C’est un mauvais procès que l’on nous fait, se défend Frédéric Bonnaud. Ce n’est que le reflet de l’histoire du cinéma mondiale, qui a été incroyablement machiste», estime le directeur de la Cinémathèque. Et de détailler:

    «La Cinémathèque est une institution patrimoniale. Il nous arrive de parler du cinéma du présent mais on parle surtout du cinéma du passé. Si vous regardez l’histoire du cinéma, il est évident que de manière extrêmement massive, pour des raisons sociales, culturelles et de domination masculine, il y a eu infiniment plus de cinéastes ou de producteurs hommes que femmes.»

    On s’étonne tout de même de ne pas trouver certains noms de grandes réalisatrices dans les événements listés sur le site de la Cinémathèque: Jane Campion, Agnès Varda, Chantal Akerman, Claire Denis, Kathryn Bigelow, Sofia Coppola, Coline Serreau, Agnès Jaoui, Pascale Ferran, Lana et Lilly Wachowski... Frédéric Bonnaud énumère ses arguments:

    «Pour Agnès Varda, on a fait une rétrospective, mais avant 2005, indique le directeur. Et on n’a pas fait d’exposition car elle en a fait une à la fondation Cartier. Claire Denis n'était pas chaude. Jane Campion, on n'a jamais réussi à la faire venir. Pour Kathryn Bigelow, encore faudrait-il qu’elle vienne à Paris…»

    Si les réalisatrices sont moins nombreuses à cause du sexisme, la Cinémathèque ne devrait-elle pas être particulièrement soucieuse de rendre hommage à celles qui ont tout de même réussi à bâtir une carrière? «Mais on le fait», estime Frédéric Bonnaud, malgré le faible nombre de réalisatrices –et plus généralement de femmes– dans la programmation.

    «Par exemple, tous les films de Pascale Ferran ont été montrés à la Cinémathèque, avance-t-il. Mais il est encore trop tôt pour lui consacrer une monographie car elle n'a pas réalisé assez de films.»

    Il note par ailleurs que la Cinémathèque n'a «jamais eu de directrice et de présidente». «Il serait temps d’y mettre bon ordre», conclut-il.

    Mise à jour

    Ajout de la précision qu'Ida Lupino était actrice et réalisatrice.