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Une discussion franche entre hommes qui ont du mal à accepter leur corps

Cinq hommes parlent de leur relation à leur corps, des conséquences que peuvent avoir leurs complexes au quotidien et des moyens de les dépasser pour vivre mieux.


Entre hommes, parler honnêtement de son corps, de ses complexes et de la façon dont on se perçoit est un phénomène plutôt rare. Nous avons décidé de discuter en ligne des problèmes liés à l’image corporelle et à sa stigmatisation, avant d’élargir le champ et d’aborder d’autres problématiques qui peuvent s’y rattacher.

Pouvez-vous vous présenter rapidement?

Jean-Luc Bouchard: J’écris des chroniques humoristiques pour BuzzFeed. J’ai 23 ans et j’ai quasiment toujours été préoccupé par ma taille et mon poids, et leurs liens avec ma santé. En termes de poids, on peut dire que j’ai connu pas mal de fluctuations, notamment ces quatre dernières années. Aujourd’hui, j’essaye d’atteindre un juste milieu, aussi bien physiquement que mentalement.

Will Varner: Je suis illustrateur pour BuzzFeed. J’ai 42 ans, mais je me vois toujours tel que quand j’avais 13 ans — grassouillet, corps d’adolescent, avec une voix trop haut perchée et des tas de complexes.

Brett Vergara: Je m’occupe du community management de BuzzFeed et j’ai 23 ans. Ma relation à mon corps, à l’instar de mon poids, a tout des montagnes russes. A une époque, je me voyais vraiment comme «le petit gros» de la classe. Depuis la fac, je pense avoir gagné une image corporelle plus saine, mais j’ai toujours plus ou moins de gros soucis avec ça.

Saeed Jones: Je suis en charge de la culture à BuzzFeed et j’ai 29 ans. Pour le dire franchement, ces dernières années, j’ai tout simplement voulu oublier mon corps, faire comme s’il n’existait pas, plutôt que de me confronter à cette réalité: je suis un homme gay, noir et grassouillet dans une ville qui croule visiblement sous les super beaux mecs. Il y a peu, je me suis inscrit à un club de gym, avec un coach personnel, et je me sens beaucoup mieux dans ma peau. Mais tout n’est pas encore gagné, clairement pas.

Isaac Fitzgerald: Je suis responsable de la rubrique livres à BuzzFeed. J’ai 32 ans, et je ne me suis jamais senti assez mince.

Comment parlez-vous de votre corps et avec qui en parlez-vous?

IF: En général, c’est un sujet que je préfère éviter. J’ai vite compris que les complexes ne sont pas un truc qui vous rendent super sexy aux yeux d’autrui, donc j’ai passé pratiquement toute ma vie à sourire et à garder mes problèmes pour moi. Mais depuis peu, j’essaye de m’ouvrir davantage. En vieillissant, je m’accepte de mieux en mieux tel que je suis — pas uniquement en aimant davantage mon corps, mais aussi en étant honnête sur le fait que je ne me plais pas tout le temps. Mais j’ai encore beaucoup de chemin à faire.

JB: Gosse, j’évitais le sujet autant qu’il était humainement possible. Rien, dans le monde, ne pouvait me faire sentir aussi mal qu’un membre de ma famille parlant de mon poids. Encore aujourd’hui, rien qu’à y penser, je transpire et je sens mes poings qui se crispent. Ces dernières années, j’ai commencé à m’ouvrir davantage, mais quand je parle de mon corps c’est presque toujours lié à des questions de santé. Parler de moi en tant que personne à regarder, c’est toujours atrocement difficile, surtout avec des hommes.

SJ: Dans mes poèmes et mes articles, j’interroge souvent les attentes que peuvent susciter le corps des noirs et des queers. Reste que dans la vie, je fais en général tout mon possible pour ne pas parler de mon corps, vu qu’il n’y a rien d’autre à dire que «je hais cette enveloppe dans laquelle je suis enfermé». De temps en temps, j’en parle à des amis très proches, mais seulement à ceux qui ont une relation à leur corps similaire à la mienne.

Quelles parties de votre corps vous complexent le plus? Pouvez-vous dire à quand remontent ces complexes et les raisons qui ont pu faire que vous les avez développés?

BV: Depuis toujours, je suis très complexé par ma carrure que je trouve trop large et comme je suis un peu plus petit que la moyenne, cela n’arrange rien. De plus, à cause de ma relative petite taille, j’ai toujours été emmerdé par mon indice de masse corporelle quand j’étais gosse (parce que je ne savais pas encore combien toutes ces histoires d’IMC sont d’énormes conneries). Cette méthode de mesure a constamment confirmé l’image corporelle désastreuse que j’avais de moi-même.

SJ: Enfant, j’étais super maigre, un oncle me disait souvent que s’il y avait trop de vent, j’allais finir par m’envoler. Et puis, il y a eu la vie... La vie, le boulot, des pertes, des deuils, et un jour, je me suis retrouvé avec une bonne bedaine. J’étais horrifié. La vie ne fait vraiment pas de cadeaux!

WV: Aujourd’hui (enfin, la plupart du temps), mon corps me satisfait, mais quand ça ne va pas, c’est en général sur mes poignées d’amour que je fais une fixette, ou sur le fait que je me sens disproportionné — mon torse est trop large, mes bras et mon cou sont trop maigres, mes cuisses bien trop épaisses, etc. J’ai même été terrifié par mon pénis, avec l’impression qu’il était trop petit ou carrément trop bizarre. Et j’ai eu une phase où je DÉTESTAIS mes cheveux, que je trouvais trop fins.

JB: Je me suis toujours senti gros, et c’est sans doute lié au fait que, très tôt, j’ai entendu que j’étais massif (voire pire), que ce soit dans ma famille, à l’école, chez le médecin ou même dans la bouche de professeurs. Et c’est aussi lié au fait que je suis naturellement imposant comme type. Au plus haut de ma courbe de poids, les gens, que je les connaisse ou non, parlaient souvent de moi comme du «gros jovial», et ce uniquement à cause de ma taille. Globalement, j’ai toujours cette image de moi en père noël, et elle ne veut pas sortir de ma tête. Je déteste plus que tout mon ventre. Des fois, je rêve que je le taillade ou le vide à l’aide d’énormes seringues. Je complexe aussi beaucoup sur mes fesses et mes cuisses, mes poignées d’amour, mon torse, mon cou et mes cheveux.

IF: Je me suis toujours senti en surpoids, qu’importe mon poids. Un jour, j’avais huit ans, ma mère m’a claqué le ventre en pleine séance de shopping. Elle-même était grassouillette et petite, et elle voulait vraiment que je maigrisse, pour que je ne subisse pas ce qu’elle avait enduré durant son enfance. Mais je n’oublierai jamais ce moment quand, dans une cabine d’essayage, elle a soulevé mon t-shirt et m’a claqué le ventre, qui a fait comme de la gelée. C’est là que j’ai commencé à complexer sur mon bide. Qui plus est, depuis que je suis ado, je me sens trop petit. Pendant quasiment toute mon adolescence, j’ai donc porté des santiags. Cela ne fait qu’un an que je n’en porte plus.

Comment les médias et la culture populaire influent sur la perception que vous avez de votre propre corps?

WV: En grandissant, j’adorais les comics, les films et la télé. J’avais une soif énorme d’images puissantes, viriles, et j’idolâtrais donc des super-héros, des acteurs de films d’action. Je pensais qu’en les imitant, j’allais devenir «un vrai mec» un jour. Je voulais aussi de l’attention, et j’ai vite compris qu’il y avait un lien entre votre apparence, en tant que garçon, et la façon dont les gens faisaient attention à vous.

JB: Grâce à la culture populaire, j’ai pu facilement ignorer la réalité de mon propre corps, et la diversité corporelle des autres hommes. Finalement, j’ai eu beaucoup de mal à m’accepter tel que j’étais, soit un être vivant, un mammifère qui respire. Je me suis toujours senti attiré par des images de mecs super minces et élancés, comme Jack Skellington, Jafar d’Aladin ou l’Homme-Mystère de Batman. Quand je dessine des bonhommes ou que je me choisis des avatars pour les jeux vidéos, je finis presque toujours par un type à la silhouette impossiblement longiligne, parce qu’en réalité, je me sens bien trop massif et encombrant.

SJ: En fait, j’ai arrêté de prêter attention à ce que les médias et la pop culture pensent des corps des hommes comme moi. C’est bien trop épuisant.

Comment votre relation à votre corps a pu affecter votre vie amoureuse?

IF: Pour être totalement franc, ça m’a probablement poussé vers des trucs assez malsains. Parce que je n’arrivais pas à m’accepter, j’ai cherché cette acceptation dans l’envie/l’amour/le désir d’autrui. Evidemment, le sexe et la présence d’une personne peuvent être des trucs merveilleux, que ce soit pour un coup d’un soir ou une relation à plus long terme. Mais je pense que beaucoup de mes expériences, je les dois à mon manque de confiance en moi.

JB: Ça a sans doute compliqué ma vie amoureuse bien plus que de raison. J’ai beaucoup de mal à croire que quelqu’un puisse me trouver attirant, et donc ça prend du temps de faire confiance à la personne qui me dit ça, de me considérer comme un membre à part entière de la relation, de la mériter. Si quelqu’un me plaît, mon premier réflexe, c’est de me dire que je suis trop gros pour cette personne et que ça serait injuste qu’elle sorte avec moi. Injuste pour elle. Aujourd’hui, j’essaye de casser ce cycle, mais ce n’est pas facile. Cela demande beaucoup de confiance en la bienveillance d’autrui.

BV: Mes complexes sont toujours dans un coin de ma tête quand j’en suis à vouloir draguer et sortir. Et les sites de rencontre n’arrangent rien, car on y voit souvent des gens préciser clairement leurs critères physiques, du genre «moins d’1,75m, passez votre chemin». C’est tout à fait compréhensible que des gens puissent avoir de telles préférences, mais cela ne change rien au fait que lorsque je lis ça, je me sens totalement rabaissé et exclu.

SJ: Aujourd’hui, je cherche surtout à faire du sport et à prendre ma santé au sérieux. Ma vie amoureuse passe au second plan. En fait, je veux d’abord retomber amoureux de moi-même avant de tomber amoureux de quelqu’un d’autre. Si vous avez l’horizon bouché par vos complexes, c’est impossible de voir véritablement quelqu’un d’autre. Et ce n’est pas juste, ni pour vous, ni pour cette personne. Alors je commence d’abord par moi.


Selon vous, est-ce qu’on parle suffisamment et suffisamment bien des problèmes d’image corporelle que peuvent connaître les hommes?

WV: Je pense qu’il y a encore énormément de place pour parler réellement des problèmes d’image corporelle chez les hommes. La fréquence de leurs troubles alimentaires et autres problèmes associés à l’image corporelle est en hausse, donc il y a manifestement quelque chose qui ne va pas. A mon avis, les mythes liés à la «force masculine» incitent encore les hommes à serrer les dents, à encaisser. Quand des hommes expriment ce qu’ils ressentent, ils risquent de casser ce mythe. Ce qui les poussent à avoir honte de ne pas avoir de «corps parfait», et avoir honte d’avoir honte. C’est sans fin, c’est toxique.

SJ: Pas du tout. On a encore énormément à faire, mais rien ne changera culturellement tant qu’on ne questionnera pas le sexisme et ces visions rétrogrades de la masculinité qui nous poussent à nous mesurer les uns aux autres.

JB: Mon Dieu, non. Fondamentalement, les rares fois où je n’ai pas de mal à soulever ces questions, c’est sur scène, et c’est toujours sous couvert de comédie. Les gens sont toujours beaucoup plus à l’aise avec les corps des hommes (et des femmes) quand ils servent à faire des blagues, beaucoup moins quand il s’agit de sujets de discussion légitimes et sérieux.

BV: Absolument pas.

IF: Non.


Que peuvent faire les hommes pour en aider d’autres à parvenir à une relation plus saine avec leur propre corps?

WV: Il faudrait que les hommes puissent se parler de leur santé (autant physique que mentale) sans avoir peur d’être ridiculisés ou humiliés. En général, les hommes devraient faire plus attention à ce qu’ils se disent. On devrait être plus bienveillant, plus honnête au sujet de nos propres complexes. On devrait moins se focaliser sur la manière d’être de «vrais mecs», et beaucoup plus sur celle d’être de «vrais» êtres humains.

IF: Selon moi, il est important que nous parlions davantage de nos corps, de ce que nous ressentons à leur sujet. Il est très facile de se croire seul à ressentir telle ou telle chose. Mais si vous parlez aux autres, si vous les acceptez tels qu’ils sont et respectez leur apparence, cela peut vraiment vous aider à vous accepter vous-même.

BV: Au bout du compte, je pense qu’il faudrait avoir plus envie de parler de ces questions, et d’écouter avec davantage de sensibilité et d’empathie. Quand des hommes tentent de parler de ces questions d’image corporelle, la discussion tourne très vite à la blague, on s'envoie des piques ou on s’ignore. C’est une réaction qui nous a été inculquée, c’est ce qui se fait chez les mecs: on s’en fout, on passe à autre chose. Mais on peut combattre cet instinct.

JB: S’aimer les uns les autres et s’aimer soi-même d’une manière qui ne soit pas dommageable à autrui. Tant de moments terribles, de souvenirs atroces concernant notre corps auraient pu être apaisés grâce à la gentillesse ou l’empathie, qu’elle viennent des autres ou de nous. Soyez bienveillant et patient, et ne vous détournez pas de ce qui vous fait vraiment souffrir.

SJ: Être plus honnête, envers soi et les autres. Répondre à ces questions aura été autant libérateur que douloureux, mais c’est un travail nécessaire. Et même sans doute vital.

Traduit de l’anglais par Peggy Sastre

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