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    Hoda, 20 ans, veuve américaine de l’État islamique

    Qu’est-ce qui peut pousser une étudiante américaine à fuir sa famille pour partir en Syrie rejoindre l’État islamique? BuzzFeed News a interviewé Hoda et son père.

    Dans son premier tweet depuis la Syrie, «Umm Jihad» montrait la photo de quatre passeports —américain, canadien, britannique et australien— tenus par des mains gantées de noir. «Feu de joie bientôt, plus besoin d’eux, alhamdulliah (loué soit Dieu)» commentait-elle sous l’image. À présent qu’elles vivaient sous l’État islamique, aucune autre nationalité n’avait d’importance.

    Sur son compte @ZumarulJannah, aujourd’hui fermé, Umm Jihad affichait son mépris pour les États-Unis. «Teeellement d’Australiens et de Britanniques ici» tweetait-elle. «Mais où sont les Américains, réveillez-vous, bande de lâches.» Les partisans américains de l’EI ne pouvaient venir jusqu’en Syrie? «Terrorisez les kouffar (terme péjoratif désignant les non-musulmans) chez vous», leur enjoignait-elle.

    «Américains, réveillez-vous!» écrivait-elle le 19 mars. «Les hommes et les femmes. Vous avez beaucoup à faire tandis que vous vivez sous notre pire ennemi, arrêtez de dormir! Partez en drive-bys [fusillades depuis une voiture] et répandez tout leur sang, ou louez un gros camion et foncez-leur dessus. Défilés d'anciens-combattants, de patriotes, jours de commémoration etc...partez en drive by’s + répandez tout leur sang ou louez un gros camion et roulez-leur dessus. Tuez-les.»

    BuzzFeed News a découvert que ce membre farouchement anti-américain de l’EI est une citoyenne américaine de 20 ans, appelée Hoda, habitant à Hoover, Alabama, d’où elle s’est enfuie en novembre dernier pour rejoindre l’Etat islamique où elle s’est mariée puis est devenue veuve.

    Après que BuzzFeed News a identifié Hoda et trouvé sa famille, la jeune femme a accepté d’accorder une série d’interviews exclusives depuis Raqqa, en Syrie, par le biais de l’application de messagerie Kik, à la condition qu’aucune image de son visage découvert ne soit publiée.

    Pour des raisons de sécurité, la famille a demandé à BuzzFeed News de ne pas utiliser le nom de famille de Hoda et de ne pas nommer sa mère ou ses frères et sœurs. Outre les conversations par Kik avec Hoda, BuzzFeed News s’est longuement entretenu avec son père, qui a demandé à n’être identifié que par son prénom, Mohammed.

    Citoyen américain naturalisé ayant fui le Yémen avec sa femme il y a plus de 20 ans, Mohammed a vu son pays tomber dans la guerre civile depuis l’autre côté de l’océan. À la naissance de chacun de ses cinq enfants, loin des bombes et de la violence des clans, il a remercié Dieu pour leur vie aux États-Unis. Tous ses enfants y sont nés, raconte-t-il, et tous les membres de sa famille sont citoyens américains.

    Jamais Mohammed n’aurait imaginé que sa petite dernière en viendrait à haïr le pays qui avait offert un refuge à sa famille, ou qu’elle fuirait la maison pour rejoindre un champ de bataille au Moyen-Orient.

    Hoover, banlieue de l’Alabama à 20 minutes de route de Birmingham, dans le sud des États-Unis, compte trois mosquées et une importante population musulmane. Depuis 25 ans, le cœur de cette communauté est la Birmingham Islamic Society, qui arbore sur sa page d’accueil une «Lettre ouverte condamnant l’idéologie de l’EI» et «Notre position contre le terrorisme.» Citant le Coran, l’association déclare sans équivoque qu’elle et ses membres s’opposent à l’EI et, dans sa lettre de 23 pages, expose toutes les manières dont l’EI enfreint les principes de l’islam.

    Le père de Hoda, un homme profondément religieux, se désole d’avoir échoué à guider sa plus jeune fille sur le droit chemin, et se sent profondément coupable. «Je veux m’excuser pour ce qu’a fait ma fille», affirme-t-il.

    Mohammed est un homme trapu, aux cheveux grisonnants et clairsemés, dont les yeux égarés derrière ses lunettes se remplissent de larmes pendant toute l’interview. Il parle anglais avec un fort accent et un petit tremblement dans la voix, sans doute davantage dû à son état émotionnel qu’à sa maîtrise de la langue.

    Ce père de cinq enfants explique qu’il n’a accepté de parler à BuzzFeed News que parce qu’il espère que partager leur histoire évitera à une autre famille de perdre un enfant à cause de l’EI.

    «Je crois qu’elle a eu un lavage de cerveau» avance Mohammed, lorsqu’on commence à l’interroger sur sa benjamine. «Ce n’est pas son genre. Ils lui ont lavé le cerveau.»

    «Tous les parents et les membres de la famille de ceux qui viennent ici disent ça» rétorque Hoda lorsqu’on lui rapporte l’accusation de son père. «À ça je réponds: "Craignez Allah, craignez Allah pour ce dont vous nous accusez."»

    Comme souvent dans sa communauté, chez Mohammed, les femmes portent des tenues modestes et revêtent un hijab lorsqu'elles sortent de la maison.

    Beaucoup, y compris Hoda lors de ses échanges par Kik, décrivent les parents comme étant «très stricts», ce que Mohammed ne conteste pas. «Je suis sûr que toutes les familles contrôlent leurs enfants comme moi, et comme je l’ai fait avec Hoda» affirme-t-il. «Mais l’EI a trouvé d’une manière ou d’une autre un moyen de passer à travers.»

    C’est Mohammed qui a donné à Hoda l’appareil qui permettrait aux partisans de l’EI de l'atteindre: son smartphone. Hoda l’a reçu en mai 2013, après avoir obtenu son bac à la Hoover High School. Mohammed explique que
    ses enfants n’ont eu de téléphone portable qu’une fois ce diplôme en poche. «Leur cadeau de ma part, c’est un téléphone portable».

    L’utilisation de ce téléphone était cependant limitée par les règles très conservatrices de la famille. «Quand Hoda a eu un téléphone
    portable, elle s’en est servi comme n’importe quelle adolescente contente d’avoir un téléphone et elle a ouvert un Facebook et j’ai vu certaines de ses photos, d’elle, et je lui ai dit "Non, ce n’est pas acceptable"», se souvient-il.

    Bien que les frères de Hoda et que Mohammed lui-même possèdent des comptes Facebook —arborant des photos d’eux— les femmes de la famille ne sont pas autorisées à ouvrir des comptes de médias sociaux ni à utiliser des applications de messagerie pour communiquer avec quiconque en dehors de la famille.

    Pour s’assurer du respect de ces règles, Mohammed vérifiait régulièrement le téléphone de sa fille. Lorsque Hoda s’y opposait, protestant que tout ce qui était sur son téléphone était à elle et que c’était privé, Mohammed explique qu’il répondait: «Oui, tu es privée mais moi je suis un père, j’ai besoin de savoir ce que tu fais.»

    «Quand je prenais son téléphone, des fois elle était effrayée et je pensais "Qu'est-ce que tu as là-dedans?"»

    Ce que Hoda avait sur son téléphone, rapporte Mohammed, c’était des applications musulmanes. «Rien d’autre que des hadiths, des sourates du Coran. Rien de suspect qui m’inquiétait. Rien.» Ce qui préoccupait le plus Mohammed et sa femme, c’était que Hoda puisse parler à des garçons en secret.

    Musulmane pratiquante depuis toujours, Hoda est visiblement devenue plus pieuse au cours des dix-huit mois qui ont précédé son départ pour la Syrie. Elle affirme le devoir aux érudits et aux interprétations de l’islam qu’elle trouvait sur Internet.

    «J’ai commencé à m’intéresser à ma dîn [vie religieuse] vers 2012», commente Hoda sur Kik au sujet de son éveil religieux. «J’ai senti que la vie était trop terne sans elle. La vie a beaucoup plus de sens quand vous savez pourquoi vous êtes là.»

    Elle raconte avoir commencé à regarder, sur YouTube, des érudits faire des conférences sur l’islam. Ces savants sur Internet ont davantage influencé sa foi que son environnement religieux local, estime Hoda. «Je n’aimais pas trop ma communauté islamique.»

    Ce tout nouveau dévouement de Hoda à sa foi était source de fierté pour son père, et tout particulièrement son implication dans la mémorisation du Coran.

    Mohammed ne s'est jamais douté que sa dévotion la conduirait à l’État islamique, explique-t-il. «Quand je l’ai entendue mémoriser l’une des plus longues sourates —la sourate Al­-Kahf— je me sentais content parce qu’elle était une vraie musulmane, disciplinée, mais je ne savais pas qu’elle irait si loin. Honnêtement, personne ne sait.»

    Hoda raconte que ses parents l’ont vue changer au fil du temps à mesure que sa foi grandissait. «Je m’habillais et me comportais de façon plus modeste» dit-elle. «Cela m’a aidée à me calmer et ça a fait de moi une meilleure personne en général. Ils ont aimé ce changement jusqu’à ce qu’ils me voient devenir "djihadiste."»

    À l’insu de son père jusqu’à sa fuite, l’évolution «djihadiste» de Hoda a été à la fois influencée et soutenue par les médias sociaux. À l’automne 2013, elle a ouvert en secret un compte Twitter qui, au fil du temps, a attiré des milliers de followers. En ligne, elle a «rencontré» des membres et des partisans connus de l’EI, comme Aqsa Mahmood, qui s’était enfuie de chez elle, en Écosse, pour rejoindre le groupe. Celle-ci postait librement des messages religieux et activistes sous différents noms, notamment @AhlulDhikr et @ZumarulJannah.

    Parmi les followers de son compte Twitter figurait une des connaissances et ancienne camarade de classe de Hoda, une des rares à la connaître réellement dans la vraie vie. Cette femme, qui porte le voile et est membre actif de la Birmingham Islamic Society et de la Muslim Student Association de l’université UAB, a demandé à conserver l’anonymat pour ne pas être associée aux actes de Hoda. Elle raconte que cette dernière était «très
    différente» sur Twitter et en personne.

    À en croire sa camarade, Hoda se disait bien plus religieuse sur les médias sociaux qu’elle ne l’était en réalité. «C’était comme une personnalité différente» explique-t-elle. Exemple parmi d’autres, Hoda revendiquait en ligne qu’elle ne portait en public que des robes très couvrantes, des jilbabs et des abayas, et ce depuis la quatrième. «Alors qu’en fait, elle ne portait que des pantalons» rectifie-t-elle. (Hoda a répondu qu’elle n’a jamais prétendu s’être habillée modestement si jeune et que sa tenue a été un souci jusque «fin
    2013.»)

    La camarade de Hoda pense que celle-ci a menti parce qu’elle s’était gagné des milliers de followers en adoptant sur Twitter une personnalité très conservatrice et religieuse. «Je crois vraiment que son Twitter était son alter ego» juge-t-elle. «Elle compensait sur Twitter ce qui lui manquait en termes de personnalité.»

    L’alter ego de Hoda se mit à soutenir des interprétations de plus en plus radicales de l’islam. «Elle postait un tas de trucs vraiment bizarres» qui étaient «radicaux» et relevaient de «l’extrémisme religieux» rapporte sa camarade. «Des choses qui ne correspondent pas au point de vue de la musulmane lambda.»

    Hoda postait des tweets sur l’absurdité des nationalités et de l’identité nationaliste, explique-telle, ou «interpelait» d’autres musulmanes qui ne portaient pas le hijab «convenablement», déclarant que toutes les femmes musulmanes devaient porter le niqab, qui ne laisse voir que les yeux.

    À peine BuzzFeed News avait-il commencé à lui poser des questions sur le compte Twitter de Hoda que sa camarade devina que cette dernière était partie rejoindre l’Etat islamique. «D'une certaine manière, je m’y attendais de sa part» explique-t-elle.

    Les camarades de classe et le père de Hoda la décrivent comme quelqu’un qui n’avait pas d’amis dans la vraie vie. Elle-même assure que c’était un choix délibéré.

    «Je me suis littéralement isolée de tous mes amis et des membres de ma communauté pendant ma dernière année en Amérique» explique-t-elle, car elle ne voulait pas s’associer avec quiconque ne partageait pas son interprétation de l’islam, interprétation qui selon elle requiert que tous les musulmans se rendent dans un territoire contrôlé par l’EI. «Plus je me rapprochais de ma dîn, plus je perdais tous mes amis, et je n’ai trouvé personne dans ma communauté désireux de fouler le chemin auquel j’aspirais.»

    Pour Hoda, ses parents n’ignoraient pas totalement le chemin sur lequel l’intérêt religieux tout frais de leur fille pouvait l’entraîner. «Ils ne savaient pas que j’allais partir, mais ils avaient une idée» estime Hoda. «Quand ils voyaient des reportages sur des filles qui avaient réussi à s’y rendre (en Syrie), ils disaient des choses comme "Hoda serait capable de faire un truc pareil."»

    «J’étais à Washington quand elle m’a quitté —quand elle a quitté la maison» souffle doucement Mohammed.

    Hoda avait soigneusement organisé son départ à un moment où son père serait loin de l’Alabama. «Je suis douée pour trouver des idées et des excuses au débotté» explique-t-elle au sujet de sa stratégie sophistiquée pour se rendre en Syrie. Des gens rencontrés sur Internet l’ont aidée à tout prévoir.

    Elle avait raconté à ses parents qu’elle devait se rendre à Atlanta —à trois heures de Birmingham environ— pour participer à une sortie scolaire. Au départ ils refusèrent de la laisser y aller, mais Mohammed raconte avoir fini par donner son autorisation lorsque Hoda lui avait expliqué que si elle ratait cette sortie, ses notes en pâtiraient. Un beau matin de fin novembre, elle quitta la maison, uniquement équipée de son sac à main et de son sac d’école, comme si elle se rendait comme tous les jours à l’UAB.

    Le soir, raconte Mohammed, Hoda appela sa sœur pour lui expliquer qu’elle s’était trompée de bus—qu’au lieu de prendre celui qui raccompagnait les étudiants à Birmingham, elle était montée dans celui des filles qui restaient dormir à Atlanta. Elle dit à sa sœur que le réseau était faible, qu’elle n’avait quasiment plus de batterie, et la supplia de dire à ses parents qu’elle serait de retour avec ses camarades de classe le lendemain.

    «Pour moi c’est une catastrophe qu’elle reste hors de la maison une nuit» s’étrangle Mohammed. « C’est inacceptable.» Il appela ses autres enfants depuis Washington et leur intima l’ordre d’aller chercher leur sœur (sa femme ne conduit pas et ne parle pas anglais). «Je leur ai dit: "prenez la voiture, allez à Atlanta, et cherchez-la ce soir et ramenez-la. Ne restez pas là-bas sans revenir. Ne revenez pas sans elle."» Mais comme Hoda n’avait donné à sa sœur aucune indication sur l’endroit où elle se trouvait, ils ne savaient pas où aller, et furent forcés d’attendre le retour du «bus.»

    «Le lendemain, il était 5 heures, et mon grand fils, il est allé la chercher au bus» raconte Mohammed. «Il n’y avait pas de bus. Il n’y avait rien.»

    Pendant que son frère attendait, l’autre fille de Mohammed recevait un message à la maison par le biais d’un numéro inconnu. C’était Hoda, qui utilisait un nouveau téléphone qu’elle avait acheté. Elle appelait de Turquie, disait-elle, et elle s’apprêtait à devenir un membre de l’Etat islamique.

    «Ils ont paniqué bien sûr, comme toutes les familles» commente Hoda au sujet de la réaction de sa famille à son message.

    En pleine crise d’hystérie, la sœur de Hoda appela Mohammed, qui assistait à une réception, pour le prévenir. «Elle hurlait au téléphone» se souvient-il. «Elle était terrifiée. J’ai pris le téléphone et les gens autour de moi ont compris que quelque chose allait mal. Elle pleurait, elle était terrorisée. Elle disait: "Hoda nous a menti", c’est ce qu’elle disait. "Elle nous a menti, elle nous a menti à tous".»

    Mohammed raconte qu’il a immédiatement appelé le FBI. Il espérait que Hoda serait encore en train de voyager et que les autorités pourraient l’arrêter. «Ils sont très utiles» dit Mohammed du gouvernement américain. «Ils ont compris la situation, ils sont très utiles. Ils font leur travail.»

    Le procureur fédéral et le FBI ont refusé tout commentaire à BuzzFeed News. «C’est la politique du département de la Justice et du FBI de ne confirmer ni infirmer les enquêtes» justifie Paul Daymond, spécialiste des affaires publiques de la division du FBI à Birmingham.

    «J’étais à Washington ce soir-là et je ne tenais plus debout», raconte Mohammed en clignant des yeux pour retenir ses larmes. «C’est la dernière chose qu’on peut imaginer de ses enfants bien-aimés, partir comme ça et aller aussi loin. C’est la dernière chose que vous imaginez qui puisse vous arriver.»

    De retour en Alabama le lendemain, Mohammed put appeler Hoda. Elle était déjà en Syrie.

    Lors de ce premier appel téléphonique, raconte-t-il, Hoda expliqua à son père qu’elle s’était rendue en Syrie pour travailler comme missionnaire, et qu’elle vivait dans un immeuble avec des orphelins et des veuves. «Elle m’a promis au début: "Je suis la fille que tu as élevée. Je resterai la fille que tu as élevée. Je ne vais rien faire de mal. Je ne suis pas ici pour l’État islamique".»

    Elle lui confia qu’elle s’était rendue en Syrie pour ce travail parce qu’un khilafah, ou califat, avait été instauré, et que chaque vrai musulman devait se rendre dans l’État islamique s’il voulait aller au paradis. Elle pressa ses parents de «faire la hijrah» ou d’émigrer vers l’État islamique, ce qu’elle estimait être «la meilleure chose à faire» pour un musulman.

    Mohammed s’est disputé avec elle par textos, lui rappelant son devoir de fille envers ses parents tel que le dicte la loi islamique, mais rien ne pouvait ébranler la détermination de Hoda de rester en Syrie.

    Après avoir ordonné à ses autres enfants de cesser tout contact avec Hoda, Mohammed lui envoya un message disant qu’il ne lui parlerait plus tant qu’elle ne serait pas prête à rentrer à la maison.

    Dans les jours qui suivirent l’arrivée de Hoda en Syrie, sa famille commença à se rendre compte des nombreuses démarches complexes qu’elle avait entreprises pour préparer son départ.

    «Elle a fait son passeport toute seule» soupire Mohammed. Le passeport de Hoda avait expiré, et elle l’avait secrètement pris dans le «lieu sûr» où la famille gardait ses documents importants pour le faire renouveler.

    Hoda a confié à BuzzFeed News qu’elle avait utilisé l’argent de son inscription à l’université pour financer son billet d’avion. «Je me suis inscrite à des cours puis je me suis désinscrite juste après pour pouvoir être remboursée».

    Un mois après son départ, Hoda contacta son père et lui dit qu’elle voulait échapper à l’EI et rentrer à la maison, parce qu’elle subissait des pressions pour se marier. Mohammed avait prévenu sa fille que cela pourrait se produire lorsqu’elle était arrivée en Syrie.

    «Je lui ai dit qu’une fois que tu es là-bas, tu ne choisis pas (qui tu épouses)» se souvient-il. «Ils font de toi ce qu’ils veulent, ils ne sont pas pour Dieu, de vrais musulmans.»

    Mohammed raconte qu’elle lui a demandé de lui envoyer 2.500 dollars pour l’aider à rejoindre la frontière turque et à obtenir des papiers qui lui permettraient de s’inscrire sur une liste de réfugiés.

    «Je lui ai dit: "Je vais t’envoyer de l’argent si tu veux, si c’est que ce tu as besoin de faire"» dit Mohammed, «mais ça passera par des intermédiaires. Je ne vais pas pouvoir envoyer de l’argent comme ça; je ne suis pas assez bête pour envoyer de l’argent comme ça.» Lorsque Hoda cessa d’envoyer des messages sur son évasion ou de fournir des détails sur son projet, il se rendit compte que sa fille n’était pas honnête avec lui. «J’ai réalisé qu’elle nous mentait, depuis qu’elle était là-bas.»

    Hoda a confirmé à BuzzFeed News qu’elle ne disait pas la vérité à son père sur les raisons qui la poussaient à demander de l’argent. «Ça ne me viendrait jamais à l’esprit de revenir» confirme-t-elle. «Je voulais voir s’il m’aiderait si j’avais des problèmes. C’était juste un test. Je savais qu’il ne m’enverrait rien de toute façon.»

    Vers Noël, Hoda envoya à Mohammed un message pour lui annoncer qu’elle avait été mariée à un moujahid, ou combattant. Il qualifie cette nouvelle de «catastrophe» et avoue ne l’avoir toujours pas dit à sa femme.

    Hoda a confirmé à BuzzFeed News avoir épousé Suhan Rahman, un Australien de 23 ans également nommé Abu Jihad al-Australi, le
    20 décembre, soit moins d’un mois après son arrivée en Syrie. «Rien n’est forcé ici» nie-t-elle, en référence aux affirmations de son père selon lesquelles elle et d’autres femmes de l’EI sont victimes de mariages forcés. Après son mariage, elle a adopté un nouveau nom de guerre, «Umm Jihad.» Mais son union a été de
    courte durée. Le 17 mars, raconte-t-elle, Rahman est mort au combat. Le lendemain, Hoda écrivit sur Twitter que son mari avait été tué après seulement 87 jours de mariage. «Qu’Allah accepte mon mari, Abu Jihad al Australi. Il a promis à Allah et s’est battu en première ligne jusqu’à ce qu’il atteigne le chahadah [martyre].»

    Elle a également publié une photo du cadavre ensanglanté de Rahman sur Twitter et proposé à son père de lui envoyer la même photo, en lui disant que son mari avait été tué par des frappes aériennes jordaniennes.

    Lorsque Mohammed lui a répondu une nouvelle fois de se repentir et de rentrer à la maison, il raconte que Hoda lui a envoyé un message qui lui disait d’arrêter. «Je ne vais pas rentrer» lit-il sur son téléphone. «C’est ici qu’est ma place et je suis vraiment prête à mourir, à rencontrer mon Dieu comme une vraie musulmane.»

    Hoda nie avoir dit à son père être «prête» à mourir. «Je lui ai dit que j’obéissais à Allah et que si cela signifiait de tout sacrifier, alors je le ferais» dit-elle.

    Bien qu’on ne lui ait pas révélé le plus grave sur sa fille, la femme de Mohammed n’a quasiment pas quitté le domicile familial depuis quatre mois qu’elle a disparu. «Toujours elle pleure» se désole-t-il. «Elle ne veut voir personne. Elle a peur, elle est terrifiée de rencontrer d’autres femmes» qui ne manqueraient pas de lui demander des nouvelles de sa petite dernière.

    Mohammed explique qu’il s’est efforcé de cacher à tous la disparition de Hoda et l’endroit où elle se trouve, excepté au gouvernement américain, à sa femme et à ses enfants. Même les autres membres de sa famille, en Amérique et au Yémen, ne savent rien, affirme-t-il.

    En plus du souci qu’il se fait pour la sécurité de sa famille, Mohammed craint la réaction de la communauté musulmane et de leurs voisins à Hoover. «Le fait qu’elle soit partie» dit-il, la voix étranglée par l’émotion. «Ils diront que c’est de ma faute et de celle de sa mère. C’est la mentalité de notre société.» Il enlève ses lunettes. «Je sais qu’il y a des gens qui vont comprendre. Peut-être ils sont désolés avec vous, mais beaucoup de gens vont se
    moquer.» Il se met à pleurer, et sort une serviette en papier de sa poche pour s’essuyer les yeux.

    «Personne ne savait pour elle, jusqu’à aujourd’hui», précise-t-il. «Ça nous donne beaucoup de douleur, beaucoup de souffrance, mais cette vie à nous, on doit l’affronter.»

    Parmi les choses que la famille devra affronter, avoue Mohammed, il y a le fait qu’ils ne reverront peut-être jamais Hoda. Il n’avait pas vu les tweets radicaux de sa fille avant que BuzzFeed News ne les lui montre. «Je ne savais pas ça, honnêtement, pour certains, toutes ces choses que vous me montrez» dit-il. «Je ne sais pas comment les annoncer à ma femme, à mes enfants. Mais on dirait qu’on l’a perdue.»

    «Elle est partie» articule-t-il doucement, l’air de dire que tout est fini. «Elle est partie.»

    Mohammed craint que lorsque la décision de sa fille de rejoindre l’EI sera connue, des gens les agressent, lui et sa famille, en les prenant pour des islamistes radicaux. Pourtant, dit-il, il ne voudrait être nulle part ailleurs qu’en Amérique.

    «L’Amérique est mon pays maintenant. Le pays de mes enfants. Et si en tant que citoyen américain, on me demande à moi de défendre ce pays, je le défendrai.»

    «Je ne sais pas comment le dire, mais honnêtement, ça pourrait arriver n’importe où» estime-t-il. «En Amérique ou hors de l’Amérique. Mais il n’y a vraiment aucun endroit aussi sûr et d’endroit aussi positif pour élever votre famille qu'ici, dans ce pays. Nous avons la liberté totale de participer à notre religion, aller à la mosquée, faire nos prières et écouter nos sages, lire les livres et rentrer chez nous et vivre la vie librement. C’est le meilleur endroit pour la famille. C’est un rêve pour tout le monde, et c’est encore un rêve, ça va être un rêve pour chacun d’entre nous.»

    Cet article a été condensé et édité par Cécile Dehesdin, traduit par Bérengère Viennot.

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