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    «Mode islamique»: quand ses détracteurs se contredisent

    De nombreuses personnalités ont pris position pour fustiger la «mode islamique» ou le port du voile plus généralement. Certaines d'entre elles tiennent un discours plutôt contradictoire.

    Tout est parti d'un article du Parisien publié le 29 mars dernier sur l'essor de la «mode islamique» chez les grandes marques. Depuis, le port du voile en France fait de nouveau polémique et certains responsables politiques n'ont pas hésité à se positionner clairement sur la question.

    La ministre des Familles, Laurence Rossignol, a comparé les femmes voilées à des «nègres américains», Manuel Valls l'a soutenue et Elisabeth Badinter a appelé au boycott des marques proposant des vêtements pour les femmes musulmanes. À l'inverse, la sénatrice EELV Esther Benbassa a estimé dans une tribune publiée par Libération que le voile n'était pas «plus aliénant que la minijupe». Mais parmi toutes ces prises de position, il y a aussi de nombreuses contradictions.

    Badinter anti-voile mais pas contre l'Arabie Saoudite

    Connue pour son engagement féministe, Elizabeth Badinter milite depuis des années pour une stricte laïcité.

    Dans une interview au Monde publiée le 2 avril, elle revient à la charge contre le port du voile en France et appelle même au boycott des marques surfant sur la «mode islamique».


    Sauf que comme l'a rappelé metronews, Elisabeth Badinter est aujourd’hui première actionnaire et présidente du conseil de surveillance de l'agence de communication Publicis. La même entreprise qui est désormais en charge d’assurer une partie de la communication… de l’Arabie Saoudite. Pays qui n’a accordé le droit de vote aux femmes qu’en 2011. Et qui a été épinglé pour avoir produit de nombreux spots publicitaires jugés profondément sexistes. «Elle ne mélange pas les genres», s'est contenté de répondre l'entourage de Badinter.

    Scandalisé en 2016, Bergé proposait le voile en 1960

    Pierre Bergé a également donné son avis sur la question de la mode islamique. «Renoncez au fric, ayez des convictions! Vous êtes là pour embellir les femmes», a-t-il lâché sur Europe 1 le 30 mars dernier. Et de poursuivre:

    «Je suis scandalisé. Moi qui ai été près de 40 ans aux côtés de Yves Saint Laurent, j'ai toujours cru qu'un créateur de mode était là pour embellir les femmes, pour leur donner la liberté, pas pour être le complice de cette dictature qui impose cette chose abominable qui fait qu'on cache les femmes, qu'on leur fait vivre une vie dissimulée.»

    Sauf que comme l'a relevé le site Atlantico, il n'a pas été toujours aussi virulent contre le voile. Dans les années 60, Yves Saint Laurent, associé alors avec Pierre Bergé, affichait pour sa marque des femmes voilées.

    Valls change d'avis sur le voile à l'université

    Présent lundi soir, au théâtre Dejazet, à Paris, en conclusion d’un colloque de réflexion, le Premier ministre a assumé une ligne dure du gouvernement en matière de laïcité en soutenant Elisabeth Badinter.

    Il a notamment déclaré:

    «Le voile n’est pas un phénomène de mode, c’est un asservissement de la femme, la revendication d’un signe politique, (précisant que) la question du voile à l’université est posée.»

    Le Premier ministre a également affirmé que «bien sûr, il y a l’économie et le chômage, mais l’essentiel, c’est la bataille culturelle et identitaire».

    En février dernier, le débat sur le voile avait ressurgi, lorsqu'un professeur a été renvoyé de l'université Paris 13 après avoir refusé de faire cours devant une étudiante voilée. Alors que de nombreux politiques se montraient favorables à l'interdiction du port du voile à l'université, Manuel Valls avait pourtant déclaré que l'interdiction du voile dans l'enseignement supérieur n'était «absolument pas d'actualité».

    «Des individus adultes» VS des «militantes»

    Sur RMC la semaine dernière, la ministre des Familles évoquait la question du port du voile en France. Et dénonçait vivement la mode islamique et la symbolique du voile liée à une «emprise salafiste». Elle déclarait notamment:

    «Ces tenues, elles révèlent l'enfermement du corps des femmes (...) nous avons le devoir de garantir à tous ceux qui vivent en France et aux franco-musulmans (sic) qu'ils y vivent bien (...) C'est irresponsable de la part de ces marques (de proposer une mode islamique, nldr). Ces lignes islamiques sont dangereuses pour la liberté et les droits des femmes en France.»

    Elle a également estimé que les femmes voilées «sont pour beaucoup d’entre elles des militantes de l’islam politique. Je les aborde comme des militantes».

    Interrogée sur l'interdiction du voile à l'université en mai 2015, Laurence Rossignol avait pourtant rappelé qu'elle n'était «pas favorable à ce qu'on impose aux étudiantes d'enlever le foulard à l'université», parce que «nous sommes là avec des individus adultes», justifiait-elle, laissant penser que ces femmes n'étaient pas forcément des militantes.

    Et sur France Inter ce jeudi, la ministre a persisté dans son discours en fustigeant le symbole que pouvait représenter le voile. Mais a quelques minutes après affirmé que les femmes avaient... le droit de porter ce qu'elles voulaient.

    «Je n'ai pas de discours sur les femmes voilées, j'ai un point de vue sur la signification symbolique (...) de ce qu'est de dissimuler son corps dans la quasi totalité», précise d'abord la ministre avant d'ajouter:

    «Nous vivons dans un pays où vous pouvez porter les vêtements que vous voulez. Les femmes en France s'habillent comme elles veulent. Si elles veulent mettre des jupes courtes, elles mettent des jupes courtes, si elles veulent mettre des jupes au genou, elles mettent des jupes au genou, si elles veulent mettre des pantalons, elles mettent des pantalons, et je tiens beaucoup à cette liberté-là.»