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    Élue d'Argenteuil voilée: comment une vieille polémique a été ressuscitée

    Derrière cette polémique qui date de mars 2014, on trouve une bataille politique locale entre l'ancien maire PS et le nouvel édile LR.

    L'adjoint PS à la mairie d'Avignon Amine El-Khatmi se voit comme le lanceur d'alerte d'un fait qu'il estime «inacceptable». Depuis Avignon, il a publié mardi un statut Facebook pour dénoncer le port du voile d'une élue LR d'Argenteuil.

    «Je n'ai plus de mots... On m'a alerté hier sur le cas de cette dame, adjointe au maire LR d'Argenteuil, qui s'affiche voilée sur le site de la ville et vient assister dans la même tenue aux séances du conseil municipal», écrit-t-il sur sa page Facebook avant de dénoncer le silence politique et médiatique sur ce sujet:

    «On me rapporte des cas similaires dont personne ne parle. Le silence, jusqu'à quand? La complicité, jusqu'à quand?»

    Fatiha Bacha, élue à Argenteuil avec le maire Georges Mothron (LR) porte en effet un voile lors du conseil municipal et sur sa photo sur le site de la mairie.

    L'info, d'abord rapportée par Le Lab, est immédiatement reprise par de nombreux médias qui rappellent toutefois qu'«aucun texte de loi ne s'adresse en effet aux élus». Seule une circulaire du 13 avril 2007 impose «un devoir de stricte neutralité» aux agents publics: un statut qui ne concerne pas les élus, sauf lorsqu'ils célèbrent un mariage civil.

    Une polémique de... 2014

    Mais si Amine El-Khatmi dénonce le silence autour de cette élue, le sujet avait déjà fait polémique... en 2014, soit à la dernière élection municipale. Lors de la passation de pouvoir entre l'ancien maire PS d'Argenteuil Philippe Doucet et le nouvel édile de droite, Georges Mothron, certains élus avaient protesté.

    «Ces signes interdits pour les agents de la fonction publique, sont tolérés pour les élus», déplorait ainsi une élue communiste, accusant Mothron de «bafouer les principes laïcs de notre République». Après cette sortie, la polémique semblait bel et bien éteinte, comme le notait Le Parisien en mai 2014.

    Un sujet relancé lors d'un débat sur la laïcité

    Alors comment le sujet, deux ans après, est-il redevenu explosif? Tout a commencé lors d'un débat organisé par l'ancien maire PS de la ville désormais député Philippe Doucet, lundi 22 février à Argenteuil, sur la place de l'islam dans la République.

    Ensuite, les versions divergent. Selon l'élu avignonnais Amine El-Khatmi, contacté par BuzzFeed, c'est Philippe Doucet qui lui aurait confirmé cette information.

    «Une personne présente dans la salle m'a parlé de cette élue voilée. Au début je n'y croyais pas, mais Philippe Doucet me l'a confirmé et j'ai trouvé cela scandaleux.»

    Mais selon Philippe Doucet, également joint par BuzzFeed, la polémique n'est pas de son fait:

    «Avant le débat, je pense que Amine s'était renseigné sur Argenteuil et a dit qu'il était choqué qu'une élue soit voilée. C'est lui qui a évoqué le sujet.»

    PS et LR se renvoient la balle du «communautarisme»

    Amine El-Khatmi souhaite que la loi 1905, qui permet à une élue de pouvoir assister à un conseil municipal voilée, soit modifiée. «Ce sont des cas minoritaires, mais je ne voudrais pas un jour qu'il y ait des listes politiques montées par des femmes voilées uniquement ou par des juifs portant la kippa. Il faut modifier la loi», explique-t-il.

    À l'inverse, Philippe Doucet tient à se démarquer de cette position depuis que la polémique a pris de l'ampleur. «Légalement, il n'y a pas d'interdiction de voile pour les élues, c'est pour cela que je n'avais pas réagi ces deux dernières années. Mais je ne pense pas qu'il faille modifier la loi, même si Amine a tout à fait le droit de demander cela», déclare-t-il.

    Mais derrière cette polémique, il y a aussi une bataille politique locale qui dure depuis plusieurs années. Lorsque Philippe Doucet était maire d'Argenteuil, ce sont les élus de droite qui l'accusaient de «favoriser le communautarisme musulman». En mai dernier, l'actuel maire LR Georges Mothron laissait même entendre que l'élu PS avait accordé à une association musulmane de ne pas payer ses loyers pour un montant total de 90.000 euros.

    «C'était une opération politique de la droite, ils n'ont rien trouvé», se défend Philippe Doucet qui interroge «les calculs électoralistes» de son successeur: «La question aujourd'hui c'est de savoir pourquoi cette droite saucisson-pinard choisit d'avoir une élue voilée».

    Dans un communiqué publié ce jeudi, le maire actuel d'Argenteuil Mothron y voit aussi un coup politique, accusant le PS d'avoir lancé cette polémique «reprise par des partisans du Front national». Il publie même le lien d'un reportage d'Envoyé Spécial «consacré aux dérives communautaristes du précédent exécutif».

    «Mon portrait dans Le Monde a certainement donné de l'écho»

    Une chose est sûre, le fait que le sujet ait été relancé par Amine El-Khatmi donne davantage de poids à cette polémique. Cet adjoint d'Avignon avait en effet été sous les projecteurs médiatiques malgré lui après avoir été menacé sur les réseaux sociaux pour ses prises de position sur la laïcité. Mais depuis, certains sur les réseaux sociaux l'accusent de se mettre en scène.

    Dans un article récent, le site Arrêt sur images rappelle également quelques unes de ses apparitions médiatiques, dont un passage remarqué dans l'émission Strip-tease en 2007 intitulé «Ségolène, maman et moi», en référence à son militantisme lors de la campagne de 2007.

    Le site revient aussi sur un épisode d'avril 2015, lorsque l'élu annonçait porter plainte «pour détournement de fonds publics» contre Agnès Saal, la présidente de l'INA qui a dépensé 40.000 euros en frais de taxis. «Le lien avec sa ville ? "Madame Saal serait surprise de savoir tout ce qu'une ville comme Avignon peut financer avec 40 000 euros", se justifie-t-il», écrit Arrêt sur images.

    Mais Amine El-Khatmi s'en défend aujourd'hui:

    «Je publie un statut Facebook et ça part en vrille. Il y a 500 likes et 300 commentaires, je n'y peux rien. Mon portrait dans Le Monde et toute la polémique après mes menaces ont certainement donné de l'écho à mes publications». Il déplore «qu'aujourd'hui on ne puisse plus parler de laïcité». «Je pense pourtant que je n'ai pas à me taire», conclut-il.


    Pas de plainte déposée à Avignon

    Enfin, Amine El-Khatmi avait déclaré dans de nombreux médias vouloir porter plainte après avoir reçu des menaces (qui, contrairement aux nombreuses insultes qui lui étaient adressées, n'étaient pas visibles sur Twitter). Il déclarait à Marianne:

    «Un compte, qui depuis a été supprimé, a posté sur les réseaux mon adresse personnelle. Plus grave, il a ensuite mis celle de ma mère.»

    «Oui oui, j'ai porté plainte au commissariat d'Avignon il y a déjà quelques semaines de ça», confirmait-il à BuzzFeed la semaine dernière.

    Sollicité, le parquet d'Avignon dément toutefois cette information. «Je vous informe qu'après recherches, la plainte n'est pas enregistrée au bureau d'ordre du tribunal d'Avignon», nous précise par mail le secrétariat du procureur qui ajoute qu'il n'y a pas non plus eu de «main courante».

    Après publication, l'élu précisait que «la plainte est bien déposée». «Je vais la diffuser sur mon compte Twitter», ajoutait-t-il. Amine El-Khatmi a finalement refusé de la publier. Alors qu'il avait assuré bien vouloir montrer cette plainte à BuzzFeed News, il n'a plus répondu à nos sollicitations. Contacté à nouveau, le parquet maintient son démenti.


    Mise à jour le 01/05/2016

    - Ajout du démenti du parquet d'Avignon à propos de la plainte d'Amine El-Khatmi

    - Ajout des précisions d'Amine El-Khatmi qui conteste les informations du procureur