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    Derrière la pétition anti-vaccin du Pr Joyeux, un lobby proche de l'extrême droite

    Avec plus de 500.000 signatures, la pétition anti-vaccins lancée par le Professeur Henri Joyeux et très controversée ne cesse de se propager. Voici qui se cache derrière ce mouvement et quelles sont ses véritables motivations.


    Mise à jour le 11/07/2016 : Henri Joyeux a été radié de l’Ordre des médecins à compter du 1er décembre, selon l’Agence de presse médicale (APM). Il a fait appel.


    Nos enfants sont-ils en danger? C'est ce qu'assure une pétition lancée par le professeur de médecine et universitaire Henri Joyeux. Dans une vidéo qui ne cesse de se propager, ce cancérologue et chirurgien de Montpellier dit alerter sur un véritable «scandale d'État».

    Ainsi, ce médecin dénonce la pénurie des vaccins DTPolio ne protégeant que contre les maladies à vaccination obligatoires (diphtérie, tétanos, poliomyélite). Il assure aussi que le seul produit désormais disponible coûte «sept fois plus cher» et exposerait les enfants à de graves dangers notamment à cause de la présence d'aluminium. Sur un ton très alarmiste, il interroge:

    «Que feriez-vous si vous deviez vacciner votre bébé pour le protéger contre de graves maladies mais que le vaccin normal, efficace et sûr, n’était plus disponible, et que le seul produit en vente était un prétendu "super vaccin", pas assez testé et contenant des additifs neurotoxiques et peut-être cancérogènes?»

    La vidéo, commentée par Henri Joyeux qui a tout l'air d'être apolitique, fait peur. En plus de mentionner à 5 reprises la nécessité de signer la pétition qui accompagne son message, elle évoque le cas particulier d'un couple de parents condamné par la justice pour avoir refusé de faire vacciner leurs enfants. Le succès de cette campagne a même contraint la ministre de la Santé, Marisol Touraine, à répondre.

    Et pourtant, de nombreux sites d'information ont depuis balayé les arguments avancés pour faire signer la pétition. Sur Rue89, deux scientifiques ont démonté ces rumeurs en neuf points, tandis que les journalistes santé de Libération et du Figaro ont rappelé pourquoi cette campagne anti-vaccins utilisait des argument majoritairement infondés.



    Mais au-delà des nombreuses erreurs, fausses informations et imprécisions relayées dans cette vidéo, cette campagne ne semble pas véritablement être l'initiative de ce seul médecin. Derrière cette pétition se cachent quelques personnes proches des milieux conservateurs (comme la Manif pour tous), proches idéologiquement de l'extrême droite. Et ils ont tous en commun d'avoir l'habitude de lancer des pétitions pour mieux récolter les données de leurs signataires.

    Qui est le professeur Henri Joyeux?

    L'instigateur de cette campagne, professeur des universités et praticien hospitalier de cancérologie et de chirurgie digestive à l'université Montpellier 1, est un habitué des médias. Il a récemment été invité par BFMTV et France Inter, ou encore sur RTL ce mercredi, pour parler de son livre Changez d'alimentation, qui cartonne en librairie. Il est également membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE). Mais les idées très réactionnaires d'Henri Joyeux ne sont jamais évoquées.

    • En 1989, Henri Joyeux se présentait sur la liste du parti très conservateur l'Alliance (et militait contre l'avortement) pour les élections européennes.


    • En 1994, l'association Act UP dénonçait les conférences sur le sida d'Henri Joyeux, jugées homophobes et stigmatisantes envers les séropositifs.


    • Dans Antimanuel d'éducation sexuelle, les journalistes Marcela Iacub et Patrice Maniglier l'accusent dans ses différents ouvrages abordant la sexualité ou lors de ses conférences données dans des écoles de montrer une vision de la sexualité «très marquée par la religion catholique et l'homophobie». En 2001, la revue ProChoix épinglait certains de ses écrits:

    «Dans Sentiments, sexualité, sida (13-15 ans), la petite Amélie demande:

    - Pourquoi appelle-t-on "sexualité" la sodomie?

    - Réponse de Joyeux: Comme vous le savez, dans l'ancien Testament, à Sodome, les mœurs étaient telles que les hommes n'allaient plus avec les femmes. On pense donc que les hommes restaient entre eux pour développer des relations homosexuelles et utilisaient leur sexe masculin en pénétrant l'anus et donc le rectum des hommes, des femmes et même des animaux. (…) On peut imaginer facilement que ceux qui réalisaient ces pratiques avaient certainement reçu une éducation sexuelle insuffisante."

    Et d'ajouter: "Il faut absolument que je vous explique ce qu'est l'homosexualité" … "c'est une blessure du cœur".»


    • En 2006, Henri Joyeux a perdu un procès en diffamation contre Le Figaro. Le quotidien pointait le lien entre les écrits d'Henri Joyeux et les thèses proches de certaines sectes, comme l'instinctothérapie et le crudivorisme (manger cru).
    «La bisexualité, c’est ce qu’on essaie de nous injecter.» 



    • Sur son site internet, Henri Joyeux estime par exemple que François Hollande a fait voter le mariage pour tous «pour faire plaisir» au lobby gay, «une minorité agissante et structurée» qui «a imposé un point de vue personnel, que le peuple ne voulait pas et ne veut toujours pas.»


    • Opposé à l'euthanasie, aux salles de shoot parisiennes ou à la pilule contraceptive, Henri Joyeux n'hésite pas non plus à relayer des rumeurs conspirationnistes selon lesquelles le gouvernement de François Hollande imposerait la «théorie du genre» à l'école. En novembre 2013, il donnait ainsi une conférence devant les militants de la Manif pour tous. Pendant que ces derniers distribuaient des tracts assurant que les pratiques sexuelles faisaient une entrée violente dans les classes de primaire, le professeur, lui, décrétait que «la bisexualité, c’est ce qu’on essaie de nous injecter».


    • Henri Joyeux, qui a été choisi par le Vatican en 1996 pour valider «un miracle», est devenu un spécialiste des théories du complot. Les articles publiés sur son site dénoncent ainsi une «désinformation» à propos de la pilule, pointent «ce qu’on ne dit pas aux femmes» sur le cancer du sein ou regrettent «que beaucoup trop de gens soient encore victimes du système de santé».

    Derrière Henri Joyeux, le mystérieux IPSN

    En plus d'être hébergées sur le site d'Henri Joyeux, la vidéo et la pétition contre le «super vaccin» sont relayées par l'Institut pour la protection de la santé naturelle (IPSN). Basé en Suisse, cet institut milite «pour permettre à tous et à chacun un libre accès à une médecine naturelle sérieuse comme complément et/ou comme alternative à la médecine conventionnelle». Et incite très régulièrement à signer... des pétitions.


    À la tête de cet institut, dont Henri Joyeux est membre, on trouve Augustin de Livois, dont le parcours n'a pas grand chose à voir avec la santé. Avant de rejoindre l'IPSN, cet avocat a en effet travaillé comme consultant pour FairValue Corporate, un cabinet de lobbying basé à Paris et Bruxelles.

    En arrivant à la tête de l'IPSN, il a seulement modifié ses méthodes de lobbying en privilégiant les pétitions (en février 2014 par exemple, une campagne pour défendre un viticulteur avait également récoltée plus de 500.000 signatures). À chaque campagne, le triptyque est identique:

    • D'abord, l'IPSN publie une vidéo avec un texte lu par quelqu'un de présenté comme légitime, au ton grave et angoissant;
    • Une pétition est lancée;
    • Et surtout, la campagne incite (de manière très pressante) le visiteur du site à laisser ses coordonnés et à s'abonner à des lettres.


    Ces messages sur toutes les pages du site rappellent également ceux inscrits sur celui d'Henri Joyeux qui, lui, offre un «abonnement gratuit, à vie à une lettre d'un nouveau genre»:



    Une fois inscrit à la newsletter d'Henri Joyeux, on reçoit différents messages liés à la médecine alternative, mais aussi des liens vers un autre site intitulé Alternatif Bien-Être.



    Surprise! Sur ce site, une vidéo (avec les mêmes codes graphiques que ceux diffusés contre les «super-vaccins») apparaît. Le registre conspirationniste est toujours présent sur la vidéo et sur le site de manière plus générale. Les sollicitations pour s'abonner à une nouvelle lettre d'information aussi.

    Une entreprise de revente de fichiers?

    Mais pourquoi tous ces sites qui militent pour une «médecine alternative» sollicitent tant les coordonnées de leurs lecteurs?

    Comme le relevait le site Bastamag en février dernier, de nombreux sites ou forums accusent l'IPSN de «revendre des fichiers, grâce aux coordonnées collectées à l’occasion d’une pétition». Interrogé à l'époque par Bastamag, Augustin de Livois jurait que non et détaillait même ses ressources:

    «L’IPSN a trois sources de financements: 40% de dons, 20% de conférences et le reste ce sont des partenariats avec une société d’édition (Santé Nature Innovation, ndlr), l’École lyonnaise des plantes médicinales, et des PME d’herboristes».

    En clair, on apprend que SNI Edition (société, nature, innovation), qui diffuse justement le magasine Alternatif bien être mentionné dans les newsletters d'Henri Joyeux, finance également l'IPSN. Mais alors qui est derrière cette société d'édition?

    A sa tête, on découvre que son administrateur s'appelle Vincent Laarman:



    Cet homme est loin d'être inconnu des milieux conservateurs. De 2001 à 2009, il a en effet été à la tête de SOS Education, une nébuleuse souvent décrite comme étant proche de l'extrême droite et de la Manif pour tous, et spécialiste du lobbying ultraconservateur. Vincent Laarman avait aussi créé en 2007 le très à droite Institut pour la justice (IPJ).


    Si SOS Education, l'IPJ ou l'IPSN n'ont aucun autre rapport à priori, il y a bien quelque chose qui les relie: ces trois organes très à droite utilisent tous des vidéos pour faire signer des pétitions et récolter des données personnelles.

    «Vous êtes en train d'essayer de m'épingler comme le font tous les journalistes.»               

    Comme en 2012, lorsque l'IPJ a récupéré l'affaire Jérémy Censier. On retrouve les mêmes codes: un fond blanc où défilent les schémas et les chiffres, l'utilisation d'un fait divers –ici un père désespéré à la voix pleine de sanglots racontant comment il avait perdu son fils, tué par des «racailles». Ce témoignage détaillait le meurtre de Jérémy Censier, en 2009, et des suites judiciaires jugées trop laxistes. La manipulation autour de cette campagne choc avait finalement été dénoncé par des avocats et quelques médias.

    Toutes ces entités créées par Vincent Laarman se vantent aussi de disposer d'une base d'adresses mails considérable.



    Interrogé par BuzzFeed News, le professeur Henri Joyeux confirme l'importance de cette base de données, mais dit ne pas vraiment connaître Vincent Laarman:

    «Cette campagne contre les "super-vaccins" est une initiative personnelle et totalement apolitique. Je sais ce que vous faîtes vous, vous êtes en train d'essayer de m'épingler comme le font tous les journalistes d'aujourd'hui. Je ne suis pas lié à Vincent Laarman, si l'IPSN relaie ma pétition, c'est juste parce qu'ils ont une base d'adresses mails beaucoup plus importante que moi.»

    Une chose est sûre, ces trois entités créées par Vincent Laarman ont toutes en commun d'avoir été suspectées de mener un trafic avec ces cordonnées.

    Rue89 l'avait pointé s'agissant de l'IPJ, des sites le mentionnent pour SOS Education, et Bastamag l'avait noté pour l'IPSN.

    Contactés pour savoir si ces accusations sont justifiées, ni Vincent Laarman ni Augustin de Livois n'ont donné suite à nos appels.