Aller directement au contenu

    Beur FM «complice des islamistes»? On a écouté ses émissions post-Charlie

    Les Zinformés, diffusée quotidiennement sur la radio en début de soirée, est accusée par l'hebdomadaire Marianne d'être «complice de l'islamisme». BuzzFeed France a écouté une semaine d’émissions, et ne fait pas le même constat.

    Beur FM serait donc complice de l’islamisme. C’est en tout cas ce que laisse largement suggérer l’épais dossier de Marianne en kiosque depuis le 22 mai. Parmi les 24 pages qui visent à dénoncer les «alliés objectifs», «compagnons de route» et «idiots utiles» de l’islamisme, la rédaction épingle sévèrement cette radio créée en 1992.

    Vladimir de Gmelinen, ancien journaliste de Valeurs actuelles et auteur de l’article intitulé «Les mauvaises ondes de Beur FM…», rapporte des propos tenus lors cette émission diffusée tous les jours entre 20h30 et 22h. Exemple le jeudi 2 avril avec l’adjoint au maire UDI de Livry-Gargan, Salem Aïdoudi, lorsqu’il aborde la rédaction de Charlie Hebdo:

    «Evoquant les tensions au sein de la rédaction autour de questions d'argent, l'élu se lâche: "Charlie montre son vrai visage. Ce sont des rats." Intervention de l'animateur, qui tente de tempérer: "Il y a deux Charlie..." L'intéressé persiste: "Non, il n'y a qu'un Charlie, pour moi cela reste des rats d'égout". Sur le plateau, aucun des invités ne réagit(...)

    Et même si Salem Aïdoudi finit par expliquer son courroux par le fait que personne du journal n'est venu rendre visite à la famille d'Ahmed Merabet, le policier natif de Livry-Gargan abattu par les frères Kouachi boulevard Richard-Lenoir, on reste plus que dubitatif quant à l'emploi de tels termes sur les 18 fréquences FM de la radio.»

    Marianne enchaîne en mentionnant le fait que Mourad Ghazli, ancien judoka, élu UDI, a traité de «cochon» le patron de L'Express, Christophe Barbier, et en a également profité pour «mettre une quenelle à Yann Barthès» (l'article ne donne pas la date à laquelle ont été tenus ces propos).

    Plus grave enfin, l’hebdomadaire relève qu’Aurélien Denizeau, «historien blogueur», a expliqué, le 3 avril, qu'il était moins choqué quand Jean-Marie Le Pen qualifiait les chambres à gaz de «point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale» que quand sa fille prenait la défense de la Ligue de défense juive.

    Et le directeur de la rédaction de Marianne, Joseph Macé-Scaron, de marteler ses accusations sur RMC:

    «Ces complices de l'islamisme nous disent aujourd'hui, soit par
    conviction, soit par intérêt ou par lâcheté, que l'islamisme n'est pas
    véritablement un danger. C'est le cas par exemple avec les Indigènes de la République qui disent que, globalement, les gens de Charlie Hebdo ont bien mérité ce qui leur est arrivé. C'est le cas de la radio Beur FM aussi.»


    «Quand bien même on ne partage pas la vision de Charlie Hebdo, cela ne vaut pas la vie d'un homme. Jamais, jamais, jamais.»                                                     Un invité de Beur FM

    Marianne n'a pas précisé la durée de son enquête, BuzzFeed France a donc écouté les émissions Les Zinformés citées du 2 et 3 avril. On a aussi écouté celles diffusées juste après les attentats contre la rédaction de Charlie hebdo (du 7 au 13 janvier).

    L'animateur Abdelkrim Branine, proposait en effet plusieurs «émissions spéciales» avancées à 19H. Il abordait logiquement les attentats, mais aussi la marche du 11 janvier, les récupérations politiques et l'augmentation des actes islamophobes...


    7 janvier 2015 : condamnation de l'attentat contre Charlie Hebdo

    «Emission spéciale pour revenir sur le carnage perpétré à Charlie Hebdo», annonce l'animateur qui diffuse un enregistrement qui «témoigne de la monstruosité de cet attentat». L'avocat Hosni Maati, l'un des invités de l'émission se dit très «choqué». Il lâche:

    «Cela fait froid dans le dos cette capacité à déconsidérer l'humanité qu'il y a chez un journaliste ou un policier, tout simplement parce qu'à un moment donné ils auraient exprimé une vision qui leur est propre, quand bien même on ne la partage pas, cela ne vaut pas la vie d'un homme. Jamais, jamais, jamais.»

    Il est suivi par tous les autres invités qui expriment leurs «condoléances aux familles des victimes». Un autre invité s'interroge:

    «Est-ce que je n'ai pas dit quelque chose à un moment, pris position... parce que me concernant et concernant aussi pas mal de gens qui interviennent sur le plateau, on a pointé du doigt ce qu'a pu faire Charlie Hebdo, on ne reviendra pas dessus.

    Mais on ne s'est jamais attaqué aux personnes. On s'est toujours attaqué à la ligne politique en dénonçant des caricatures qui nous paraissaient à l'époque, stigmatiser la population plus que la religion. Sauf que là, ce n'est pas Charlie Hebdo qui a été attaqué, ce sont des personnes, il y a des gens qui sont morts.»

    Dans le flash info, le fondateur de Beur FM, Nasser Ketan, exprime lui aussi ses condoléances. «Rien ne peut justifier un tel acte», ajoute-t-il rappelant que «Charlie Hebdo a été à la pointe de la liberté».


    8 janvier 2015: condamnation des complotistes

    Alors que les frères Kouachi sont toujours traqués par la police, les invités de l'émission débattent des attentats et condamnent «tous les abrutis qui se livrent à des théories du complot inacceptables et indécentes pour les familles des victimes».


    Interviewé par téléphone, l'adjoint au maire UDI de Livry-Gargan en remet une couche:


    «Certaines personnes se permettent de dire que c'est un coup monté (à propos de la vidéo montrant le policier tué d'une balle dans la tête, ndlr) (...) je peux témoigner moi, que les larmes de sa mère ne sont pas un coup monté et ce serait bien d'arrêter avec ce genre de commentaires.»

    Abdelkrim Branine diffuse également un enregistrement de l'émission de Marc-Olivier Fogiel sur RTL, où le journaliste du Figaro Ivan Rioufol exige que l'auteure Rokhaya Diallo –alors en larmes– se désolidarise des attentats en tant que musulmane.

    Les chroniqueurs de Beur FM expriment leur indignation face «à la violence des propos du journaliste du Figaro». L'un des invités du jour, Julien Salingue, docteur en sciences politiques et contributeur de l'observatoire des médias Acrimed parle «d'agression islamophobe» contre Rokhaya Diallo. Il associe Rioufol à Yves Thréard (directeur adjoint du Figaro) et aux «connards de Valeurs actuelles qui auraient pu faire la même chose». Il poursuit en comparant cette attitude à celles des antisémites qui font un amalgame entre la politique de l'Etat d'Israël et tous les juifs:

    «Est ce qu'il ne faudrait pas que les journalistes se désolidarisent collectivement de Ivan Rioufol ? Et moins sur le ton de l'humour, ce que fait Rioufol là, c'est ce que fait l'extrême droite antisémite quand elle fait l'amalgame entre Israël et les juifs et qu'elle dit que les juifs sont responsables de la politique d'Israël parce que l'Etat d'Israël se revendique être l'Etat des juifs.»

    9 janvier 2015: le professionnalisme des policiers salué

    Les invités ne partagent pas le même avis autour de la marche prévue le dimanche. Certains qui ont participé au rassemblement «spontané» le 7 au soir, refusent «la récupération politique» du 11 janvier, «les injonctions à se désolidariser» ou l'idée de «défiler aux côtés d'islamophobes». Exemple de propos:


    «Je suis embêté avec ces rassemblements, par la récupération, la très grande récupération déjà trop présente (...) les politiques sont déjà en train de faire leur propre cuisine. Donc je suis très embêté d'un point de vue humain. Je suis naturellement touché, j'ai naturellement envie de manifester mon horreur, mon désaveu total concernant ces actes de violence et de barbarie, mais cette fameuse union nationale est un leurre parce qu'elle se fait sur le dos d'une partie de la communauté nationale...»

    La journaliste Nora Hamadi estime elle au contraire qu'il faut aller manifester. Et d'ajouter:

    «Je souhaiterais aussi que de notre côté qu'on ne fasse pas non plus d'amalgame en se disant que tous les blancs, tous les gens qui seront dans cette manifestation sont islamophobes. Cela apparaît extrêmement important de le dire ici.»

    Enfin, un autre invité dénonce les propos de Jeannette Bougrab qui a accusé l'association Les Indivisibles d'être responsable de ces attentats avant que Nabil Drissi, un ancien policier de la BAC présent sur le plateau ne salue le «professionnalisme» des enquêteurs et CRS.

    Le 12 janvier 2015: nouveau débat autour de la marche du 11 janvier

    L'animateur interroge ses invités sur les exactions du mouvement terroriste Boko Haram au Nigéria. Les condamnations sont sans appel. Enfin, si l'idée d'aller manifester aux côtés de nombreux chefs d'États à Paris fait encore et toujours débat, le consultant en intelligence économique Farid Temsamani, «qui avait appelé à manifester» la veille, déclare:

    «Le fait de s'attaquer à une rédaction entière (...) est, dans la construction de la démocratie française, un symbole fort. De ce point de vue là, le fait que les gens soient sortis est une bonne chose.»

    Par curiosité, nous avons aussi écouté les émissions du 2 et 3 avril, relayées par Marianne, et découvert un contexte un peu différent de celui décrit par le journaliste Vladimir de Gmelinen en ce qui concerne la remarque sur Jean-Marie Le Pen.

    «On ne peut pas dire on s'en fout (...) les propos de Jean-Marie Le Pen sont extrêmement graves.»                        Une invitée de Beur FM

    Selon lui, l'invité Aurélien Denizeau a expliqué, le 3 avril, qu'il était moins choqué quand Jean-Marie Le Pen qualifiait les chambres à gaz de «point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale» que quand sa fille prenait la défense de la Ligue de défense juive.

    Ce que Marianne ne dit pas, c'est que la quasi-totalité des invités et l'animateur ont coupé Aurélien Denizeau. Lorsque ce dernier a dit que ce débat était «stérile», Abdelkrim Branine l'a interrompu en déclarant que si on demandait «aux enfants de déportés qui sont morts», ils ne seraient certainement pas d'accords. Sihem Souid du PS ajoute:

    «On ne peut pas dire on s'en fout (...) les propos de Jean-Marie Le Pen sont extrêmement graves.»

    Après avoir écouté plus de 12 heures d'émission, on a constaté :

    - de nombreuses condamnations du terrorisme

    - de nombreuses condamnations d'antisémitisme

    - des injures contre des politiques ou journalistes

    - beaucoup de dénonciations de l'islamophobie

    - des condamnations contre la politique d'Israël

    - des débats houleux autour de l'union nationale et du slogan «Je suis Charlie».

    En bref, des débats remplis d'opinions avec lesquelles on peut être d'accord ou pas, mais qui ne permettent pas de parler de «complicité des islamistes» de la part de Beur FM.


    Lisez-nous aussi sur Twitter et Facebook!