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Comment Kristen Stewart a survécu à Hollywood

Comment la jeune actrice a survécu au sexisme de l'industrie, à Twilight, et à un des plus gros scandales people de la décennie.

Jouons à un jeu. À quelle célébrité hollywoodienne correspondent ces expressions: «terne», «vide», «moue boudeuse», «interprétation sous anxiolytiques», «fait la même tête pendant tout le film»? Si vous étiez vivant-e entre les années 2007 et 2012, le nom de Kristen Stewart vient sans doute de se former dans votre esprit.

Il y a encore trois ou quatre ans, peu de gens se bousculaient pour défendre le talent artistique ou la personnalité brute de l’actrice de Twilight. Les limbes d’internet sont remplis de mèmes tournant en dérision son inexpressivité ou l’étroitesse de sa gamme d’actrice.

Pourtant, depuis un an, la jeune femme n’est plus décrite comme une midinette boudeuse et renfrognée, mais plutôt perçue comme une nouvelle force du cinéma indépendant. En 2014, Stewart a même vu sa performance dans Sils Maria, d’Olivier Assayas, récompensée par le César du meilleur second rôle féminin: une première pour une actrice américaine. Cette année, elle est à l'affiche de deux films présentés au festival de Cannes: Café Society de Woody Allen, et le nouveau film d'Olivier Assayas, Personal Shopper.

Mais cette renaissance professionnelle ne sort pas de nulle part: grâce à des choix de carrière judicieux et une réinterprétation de son image, la jeune star a enfin réussi à laisser Twilight derrière elle.

Lorsque Kristen Stewart devient une star mondiale en incarnant la première héroïne d’une franchise de young adult à Hollywood, elle a à peine 17 ans. Pour comparer, Jennifer Lawrence et Shailene Woodley avaient 22 ans lorsqu’elles lui ont respectivement emboîté le pas dans Hunger Games et Divergente.

Alors que Twilight démarre, Kristen Stewart, elle, est à l’âge ingrat où la plupart d’entre nous écoutaient Fall Out Boy, se teignaient les cheveux en rose et questionnaient avec angoisse le sens de l’existence. «Les attentes autour d’elle étaient extrêmement élevées», analyse Andrea McDonnell, spécialiste de la culture de la célébrité aux Etats-Unis et auteure de Reading Celebrity Gossip Magazines. «Elle a tout de suite été placée sur un piédestal.»

Dans l’écosystème hollywoodien, une star ne fonctionne que si on lui attribue une image nette et facilement identifiable: Jennifer Lawrence est la bonne copine, Chris Pratt le comique, Seth Rogen le fumeur de joints, Cate Blanchett la déesse hors-du-temps, Angelina Jolie la philanthrope, Colin Farrell le bad boy, Tom Cruise le mec flippant. Malgré sa performance exemplaire dans Panic Room et un second rôle remarqué par la critique dans Into The Wild, en 2007, le grand public ne connaît pas encore Kristen Stewart: son image de star reste à façonner. Or une toile blanche peut s’avérer dangereuse: rapidement engloutie par la machine Twilight, la jeune actrice est sur le point de voir toute sa carrière résumée à sa vie sentimentale et ses mordillements de lèvres.

Devoir se définir est sans doute la perspective la plus effrayante qu’une ado de 17 ans puisse envisager, et Kristen Stewart, d’un naturel secret et introverti, n’offre pas grand chose que les tabloïds et armées enragées de fans pré-adolescents puissent se mettre sous la dent. Son image va donc se fondre avec la seule identité qu’on lui connaisse: celle d’une ado un peu terne, gauche et inexpressive, qui se touche les cheveux dès qu’elle est stressée et sort avec un vampire scintillant.

Alors que son personnage, Bella, est entièrement défini par sa relation avec Edward Cullen, toute l’attention de la presse tabloid se porte rapidement sur la relation de Kristen Stewart avec Robert Pattinson. Très vite, le couple à l’écran devient couple dans la vraie vie, Rob et Kristen deviennent «Robsten», et toute la presse people parle de leur idylle. «Cela a solidifé le fait que le public la voyait uniquement en tant que Bella», confirme Andrea McDonnell.

Mais les deux acteurs refusent de rendre leur relation publique, ce qui renforce la pression médiatique autour d’eux et enrage les fans et la presse people. Dans ses interviews, Kristen Stewart refuse catégoriquement de parler de sa vie privée. «J'aurais sans doute répondu si on n'en avait pas fait tout un plat», se défend-elle en 2009, dans une interview à Entertainment Weekly, «mais je ne vais pas donner une réponse aux obsédés. [...] Si les gens me demandaient si je sors avec Taylor (Lautner, ndlr), je leur dirais d'aller se faire foutre.»

«Lorsque les célébrités refusent de jouer le rôle qu’on attend d’eux, les articles [dans la presse people] sont souvent négatifs», explique Andrea McDonnell. «Si vous êtes journaliste, et que vous avez en face de vous cette cette jeune fille maussade qui refuse de vous parler et insinue que votre boulot est un peu creux… ça risque de vous énerver», s’amuse Kathleen Feeley, professeure à l’université de Redlands et spécialiste de la célébrité. Un agacement teinté de jalousie qui se manifeste rapidement de la manière la plus classique qui soit entre les stars et leur public: une bonne dose de sexisme.

Une des idées les plus universelles sur les célébrités est qu’elles ont de la chance: ce sont des êtres génétiquement, financièrement et sexuellement supérieurs. Alors forcément, le public n’aime pas les stars qui semblent peu reconnaissantes. Kristen Stewart a le malheur d’avoir un visage naturellement renfrogné et de ne pas vomir des arcs-en-ciel à chacune de ses apparitions publiques: elle devient donc l’ado ingrate qui ne profite pas de sa chance et fait tout le temps la gueule.

Bien-sûr, personne ne trouve anormal que Tom Hardy, Colin Farrell ou Sean Penn sourient rarement sur les tapis rouges. Mais que ce soit dans la rue ou à Hollywood, la règle semble être la même: une femme qui ne sourit pas est une connasse. «Elle refuse d’être à l’aise avec l’aspect promotionnel. Ce n’est pas la première à le faire, mais ce sont plus souvent des hommes. Marlon Brando, James Dean ont joué la carte “artiste torturé, mal à l’aise avec ça”, ou James Franco plus récemment», analyse Kathleen Feeley. Pour une fille de moins de 20 ans, en revanche, ça ne passe pas, et c’est très vite cette notion d'ingratitude qui va dominer notre représentation de Kristen Stewart. «Le public aussi détestait ça: “tu sors avec ce mec super canon et tu n’es même pas fichue de sourire?”», explique Andrea McDonnell.

Même à l'écran, la jeune femme agace. Méprisée pour ses expressions stoïques, Kristen Stewart a toujours eu un jeu très intériorisé, naturel et épuré. Exactement le même genre de jeu que, par exemple, Ryan Gosling dans de nombreux films — pourtant, ce dernier n’a pas eu droit au même nombre de critiques et moqueries concernant son jeu mutique et discret. Un reflet, selon Andrea McDonnell, des stéréotypes de genre concernant les émotions masculines et féminines: traditionnellement, les femmes sont censées être plus transparentes avec leurs émotions, sourire à s’en décrocher la mâchoire quand elles sont heureuses et égorger des lapins, bave aux lèvres et traces de mascara sous les yeux, quand elles sont tristes ou en colère. Les hommes, eux, sont censés être plus stoïques, rationnels, et intérioriser leurs émotions en toute circonstance. «Il y a peut-être une projection de ces normes sur la façon dont Kristen Stewart joue», avance Andrea McDonnell. La jeune actrice, avec un jeu typiquement éloigné des stéréotypes féminins, déconcerte. «Si elle était un mec, personne ne dirait rien sur la façon dont elle joue», ironise Kathleen Feeley.

Dans Twilight, Kristen Stewart bafouille, bute sur ses mots. Quand elle laisse paraître une émotion, celle-ci est toujours lâchée maladroitement, brusquement. Ses réactions ne sont pas fluides ou étudiées; elles sont naturelles, elles expriment toute la maladresse, tous les maniérismes gauches d’une adolescente en fleur. Mais le fait que Kristen Stewart, elle-même adolescente introvertie, ait choisi d’incarner Bella de cette manière, bien-sûr, échappe à ses détracteurs.

Dans Blanche-Neige et le Chasseur, son deuxième succès commercial hors-Twilight, sa performance est convaincante mais très intériorisée, surtout en comparaison avec le style dramatique de Charlize Theron. Les critiques, outre-Atlantique, ne sont pas au rendez-vous: «ridiculement mauvaise, alternant entre deux expressions faciales avec sa bouche à moitié-ouverte», «passivité renfrognée», «Bella Swan en corset»… Malgré son important CV, l’image de Bella la poursuit jusque dans ses autres films.

Car Twilight et Blanche Neige, deux grosses productions aux dialogues très écrits, sur fond d’aventures surnaturelles, invitent des performances d’acteurs théâtrales. Le style nature et sans filtre de Kristen Stewart ne fonctionne pas avec le ton des films. Twilight, semblerait-il, était l’anomalie de sa carrière: le jeu sourd et tendu qui lui a valu d’être la risée de l’industrie il y a quelques années est le même qui, aujourd’hui, lui vaut sa reconnaissance.

Kristen Stewart a eu le malheur de devenir célèbre pour le seul rôle qui ne lui correspondait pas, mais elle a toujours été une bonne actrice indé. La jeune femme est loin d’être une novice à Hollywood: à 25 ans, elle a plus d’une trentaine de films à son actif, dont une grande partie sont des productions à petit budget. Même pendant ses années Twilight, elle choisit des rôles très éloignés du registre young adult. Dans The Runaways, elle incarne Joan Jett, icône du punk féminin, avec une énergie et un charisme indéniables. Elle chante ses propres reprises, et Joan Jett elle-même adoube sa performance. Mais à ce moment-là, le public de Kristen Stewart est majoritairement pré-adolescent, et le film est interdit aux moins de 17 ans en raison de quelques scènes légèrement osées. Quant à ceux susceptibles de s’intéresser au biopic d’une rockeuse des années 70… Ils ne s’intéressent pas à une héroïne de films de vampires. Le film ne rencontre pas son public, et passe inaperçu avec quelques 3 millions de dollars de recettes.

Paradoxalement, ce n’est donc pas à l’écran que Kristen Stewart va trouver l’occasion de se réinventer; mais en une des tabloids.

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Le monde des Twihards vole en éclats lorsqu'en 2012, peu de temps avant la sortie du dernier Twilight, «K-Stew» est photographiée dans les bras d’un homme marié, Rupert Sanders, réalisateur de Blanche Neige et le Chasseur. Robert Pattinson devient la victime plainte de tous et se fait offrir des pots de glace par Jon Stewart. Kristen Stewart est la garce qui, encore une fois, ne sait pas apprécier ce qui se trouve devant elle: «Comment a-t-elle pu, elle qui avait tout, qui sortait avec l’homme parfait, gâcher tout ça?», se demandent les jeunes fans. «Elle était l’incarnation réelle de cette romance fictive, et lorsque cela a été interrompu, le backlash a été très violent contre elle», explique Andrea McDonnell.

Disparue, la midinette gauche et renfermée: voici une femme adulte sexualisée que le public de fans pré-adolescents a du mal à accepter. Le backlash est violent, mais il sera son salut: en rompant avec son image de jeune fille maladroite, et avec Robert Pattinson, Kristen Stewart met de la distance entre elle et la franchise qui l’emprisonne. Les fans la délaissent? Elle s’en fera de nouveaux, plus adultes peut-être. Lorsque le scandale éclate, en 2012, Kristen Stewart est l’actrice la mieux payée d’Hollywood, et la plus détestée. Elle bénéficie d’une liberté financière et d’une attention médiatique illimitées — en d'autres termes, elle a les moyens de choisir des rôles moins bien payés et s’éloigner des grosses productions qui ne lui correspondent pas.

Sa première apparition publique post-scandale, attendue avec autant de ferveur que l’annonce d’un nouveau pape, marque le début d’une nouvelle ère: elle se rend au festival de Toronto, un rendez-vous important pour l’industrie, afin de promouvoir Sur la route. Ce nouveau projet, basé sur le roman culte de Jack Kerouac, contient des scènes de sexe, drogues et masturbation. Le public a désormais affaire à une actrice avant-gardiste, mature et sûre d'elle. L’idée d’une Kristen Stewart post-vampires est déjà en marche.

Après l’échec critique et commercial de Sur la route, plus rien pendant deux ans. On la croise à une ou deux cérémonies en tant qu’invitée de seconde zone, mais elle ne fait la promotion d’aucun projet et se fait discrète dans la presse. Quand on la retrouve en 2014, c’est avec les cheveux courts, et trois projets «sérieux» en poche - The Guard, Sils Maria, et Still Alice. Plus de blockbusters à l’horizon, ni de personnages à la beauté fragile et délicate. Ses rôles sont désormais ceux de jeunes femmes franches et rentre-dedans. L’effrontée qui boudait sur le tapis rouge et hésitait entre un vampire et un loup-garou est devenue l’effrontée qui tient tête à des soldats, remet Juliette Binoche à sa place, et ne mâche pas ses mots face à Julianne Moore en femme malade.

Endosser des rôles plus osés, plus matures pour redéfinir son image est une vieille tradition hollywoodienne. Bien avant Kristen Stewart, Marilyn Monroe, Nathalie Wood, ou encore Judy Garland, l'héroïne du Magicien d'Oz, ont elles aussi dû lutter pour s’affirmer en tant qu’actrices sérieuses, surtout celles qui avaient débuté leur carrière comme enfants-stars, jeunes filles sages ou symboles sexuels— des identités particulièrement tenaces. «Elizabeth Taylor, par exemple, réussit à se détacher de l’image d’enfant d’Hollywood avec des films comme Butterfield 8, dans lequel elle joue un personnage à la vie sexuelle mouvementée, puis dans Qui a peur de Virginia Woolf?», explique Kathleen Feeley. Natalie Wood, autre enfant star, se réinvente avec La Fureur de vivre et La Fièvre dans le sang, «des films hollywoodiens “risqués”.» Reese Whitherspoon l'a récemment fait avec Mud et Wild.

Cependant, ces actrices ont opéré leur transition vers des rôles plus matures et complexes en conservant leur image de célébrités glamour et féminisées. Kristen Stewart, elle, n’a jamais été à l’aise dans ce rôle, et par son aspect résolument androgyne, l’actrice dénote encore plus dans un système hollywoodien traditionnel et sexiste. Sa réinvention va donc plus loin que le choix de ses nouveaux films.

En termes d’apparence physique pure et simple, depuis quelques années, Kristen Stewart a aussi su capitaliser sur l’image de fille revêche qu’on lui prêtait: auparavant mal à l’aise dans les robes de princesse, elle associe désormais sa coupe courte et décoiffée à des tenues avant-gardistes, noires, blanches ou métalliques, futuristes et androgynes. Elle en a même fait sa marque de fabrique, et a entériné la transformation en devenant la muse de Karl Lagerfeld.

Et ça marche. Le «récit» autour de Kristen Stewart se base désormais presque exclusivement sur son identité «androgyne» et «edgy». Ces derniers mois, la presse s’est à nouveau emballée sur les relations sentimentales de Kristen Stewart, mais cette fois-ci, c’est surtout son orientation sexuelle qui titille les tabloïds: on lui prête une relation avec Alicia Cargile, une professionnelle des effets spéciaux.

Dans une interview récente accordée à Nylon, la jeune actrice n’a rien démenti, mais a délibérément refusé de se ranger dans une case. «Faites une recherche sur Google, je ne me cache pas. Si vous avez vraiment envie de vous définir, et si vous avez la capacité d’articuler ces paramètres et que cela vous définit, faites-le. Mais je suis une actrice. Je vis dans la putain d’ambiguité de cette vie et j’adore ça.»

Dans une industrie qui base sa réussite sur la construction d'archétypes, voilà toute l'originalité de Kristen Stewart; et aussi la raison pour laquelle le public a eu tant de mal à la cerner. Elle est «l’actrice de Twilight» et une valeur sûre du cinéma indépendant. Elle est mal à l'aise avec le système médiatique, mais elle est aussi l'égérie de Chanel. Elle sort avec des hommes, et aussi, peut-être, avec des femmes. Elle ne se cache pas, mais elle ne veut pas non plus se définir aux yeux du public. «J'essaie de chercher, mais je ne trouve aucune autre actrice qui a la même image qu'elle», confie Kathleen Feeley: celle d'«une femme jeune, androgyne et revêche, artiste à l'âme torturée». Si on la compare aujourd'hui à James Dean, c'est qu'il y a une raison: les seules personnalités hollywoodiennes à avoir activement refusé de jouer le jeu médiatique sont des hommes, ou des femmes plus âgées.

En refusant de n'être qu'une seule chose, Kristen Stewart est devenue une héroïne unique à Hollywood.

Correction

Elizabeth Taylor joue un personnage à la vie sexuelle mouvementée dans Butterfield 8. Une version précédente de ce post affirmait qu'elle jouait une prostituée.

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