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    Ces pages Facebook racoleuses vendent vos clics à des sites Web

    Des petits malins créent des pages Facebook racoleuses et vendent ensuite des visiteurs par milliers à des sites Web.

    Ce sont de vrais dealers. Ils viennent vous contacter discrètement et vous proposent de la marchandise à prix attractif. Sauf que leur came, à eux, ce sont des visites. Par dizaines. Par milliers. Par millions. Grâce à eux, c'est sûr, vous pourrez rapidement «devenir le premier site en France».

    Voici comment ces revendeurs de clics faciles harponnent leurs proies:

    Plusieurs entreprises de ce genre ont contacté BuzzFeed France ces dernières semaines. Certaines avec des présentations très sérieuses:

    Curieux de savoir comment leur business s'organise, nous leur avons répondu. Reda, l'un de ces petits malins qui vend des «vis» (visiteurs) à prix discount, nous résume son procédé:

    «J'ai des comptes Instagram, des pages Facebook et j'y poste des liens vers les sites de mes clients. Mon tarif, c'est 4 euros pour les 1000 clics. Mes visiteurs viennent voir en moyenne deux pages par visite voire plus.»

    «Codes de filles», «Le sexe fort, c'est la femme», «Vie de salope»...

    Reda, qui se présente comme un bachelier marocain, explique travailler depuis «début mai» pour des sites web français de divertissement comme PauseCafein.fr. Concrètement, il poste sur ses pages Facebook ou comptes Instagram des liens vers les articles de son client. Ce dernier mesure ensuite l'audience générée de la sorte et le rémunère en conséquence. Contacté par BuzzFeed France, un responsable du site PauseCafein.fr n'a pas souhaité commenter ce partenariat.

    Difficile de le nier pour autant. Les pages Facebook «Codes de filles» –environ 300.000 abonnés–, «Le sexe fort, c'est la femme» –environ 100.000 abonnés– «Vie de salope» (sic) –environ 40.000 abonnés– ainsi que le compte Instagram @phrasesde.filles (environ 300.000 abonnés), dont Reda revendique la paternité, renvoient vers des dizaines d'articles de PauseCafein.fr.

    Cette technique peut paraître grossière, mais nous avons pu vérifier que cela marche.

    Grâce au site bit.ly, que Reda utilise pour traquer les clics sur ses liens, il nous est possible de vérifier que ses pages génèrent effectivement de l'audience. Le site bit.ly lui permet en effet de créer une URL (adresse d'une page Web) spécifique à lui-même pour chaque adresse. Par exemple, le lien https://bitly.com/1HmqONs renvoie vers l'article «9 accidents débiles arrivés durant le sexe». Il est ensuite possible de consulter le nombre de clics sur ce lien en allant sur l'URL https://bitly.com/1HmqONs+.

    Verdict: les différents liens postés vers l'article par ses soins ont rapporté plus de 12.000 visites à PauseCafein.fr, selon l'outil. De nombreux autres liens, sur des articles différents, font au moins aussi bien. Au total, grâce aux quelques 1,3 million de visites qu'il a envoyées au site en mai, Reda espère gagner 4000 euros environ.

    «Je vous fais une facture, vous faites le paiement, et on commence à partager vos articles sur nos comptes»

    Reda n'est en fait qu'un petit poisson dans cet univers où l'on multiplie le trafic comme les petits pains. Yana Mediaa, qui gère notamment la page Facebook «Sais-tu que?» (4,9 millions d'abonnés), a un peu plus d'expérience. Elle revendique réaliser «plus de 20 millions de trafic par mois» pour ses clients comme MinuteBuzz.com, Pause Cafein ou encore Demotivateur.fr. Contactées par BuzzFeed France, ces sociétés n'ont pas donné suite à nos sollicitations pour l'heure -leur partenariat avec Yana Mediaa reste donc à confirmer.

    Mise à jour, 17h20: Yana Mediaa nous a recontacté après publication de notre article pour nous expliquer qu'ils n'avaient en fait jamais travaillé avec le groupe Webedia, contrairement à ce que l'entreprise nous avait affirmé auparavant: «Nous les avons contactés, mais ils refusent de travailler avec nous». Nous avons donc retiré le nom du groupe de la liste des clients qu'il revendique.

    Mise à jour, 12h40: Alex Quilghini, co-fondateur de Buzzly.fr, qui apparaissait sur la page «Sais-tu Que?», nous a finalement répondu après la publication de l'article. Il dément avoir payé une société pour augmenter son nombre de vues. S'il y a ce lien sur la page Facebook en question, c'est parce que Yana Mediaa l'avait posté avant de le démarcher, nous explique-t-il:

    «Nous n'avons jamais fait ça. On a déjà été contactés par des sociétés de ce type, mais on a toujours dit non. C'est leur stratégie de prospection de poster des liens vers les sites sur leurs pages Facebook avant de les démarcher, je vous assure que nous ne les avons pas payés. »

    Décupler ses visiteurs, c'est facile et rapide, nous promet en tout cas l'entreprise Yana Mediaa:

    «Vous voulez acheter 2 millions de trafic cette semaine? Je fais une facture, vous faites le paiement, et on commence à partager vos articles sur nos comptes. Ensuite, on compte les clics. Pour les tarifs, c'est 5 euros par millier.»

    Un marché qui intéresse de plus en plus de professionnels du Web

    Le rendement gain/audience généré peut paraître faible à première vue. Et pourtant, ils sont de plus en plus nombreux à tenter d'exploiter ce filon. Signe qu'il pourrait bien y avoir de l'argent facile à se faire, en réalité. C'est le cas de Charles, créateur d'une société de ce type il y a deux mois.

    Il travaillait auparavant dans le secteur du e-commerce et s'est rendu compte qu'il y avait un marché. Parmi ses clients, on trouve selon lui les sites Demotivateur.fr ou PauseCafein.fr, dont il fait la promotion sur ses pages thématiques comme «Les plus beaux tatouages» (près de 300.000 abonnés):

    C'est une page qu'il a développée dans son activité précédente. Via son activité naturelle, mais aussi en grande partie par des achats de fans Facebook et des partenariats avec d'autres entreprises du même genre (qui font, par exemple, la promotion de sa page sur leur propre compte Facebook).

    Booster la visibilité d'articles, y compris des campagnes publicitaires

    Un gestionnaire de telles pages Facebook, qui préfère ne pas être cité, nous explique également que ses clients font appels à des usines à clics comme la sienne pour gonfler les statistiques de leurs propres articles (ce qui leur permet d'augmenter leurs revenus publicitaires).

    «Cela concerne aussi beaucoup de campagnes de publicité qu'ils organisent pour des marques et pour lesquelles ils ont besoin d'un coup de pouce d'une forte visibilité.»

    Il nous apporte aussi cette précision, qui explique en partie pourquoi les prix sont souvent très bas:

    «Chez nous, c'est environ 5 ou 6 euros les 1000 clics, mais cela dépend aussi des fans. Ces prix sont valables si ce sont des fans au Maghreb. Si ce sont des fans Français, c'est plus cher.»

    Pour ces mercenaires de l'audience en ligne, peu importe qui vous êtes et ce que vous allez penser d'un article. La seule et unique chose qui compte, en définitive, c'est de vous arracher un clic.

    Lire aussi notre enquête sur le business caché des grosses pages Facebook.

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    Mise à jour, à 9h58: nous avons ajouté des précisions sur le fonctionnement de bit.ly.