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    Les petits arrangements d'Uber avec la vérité sur UberPOP

    Alors que deux dirigeants de la société ont été renvoyés en correctionnelle mardi, on fait le point sur la défense par Uber de son service de chauffeurs non-professionnels.

    Deux dirigeants d'Uber seront jugés en correctionnelle en France le 30 septembre 2015.

    L'annonce a été faite mardi 30 juin par le parquet de Paris. Le directeur France d'Uber, Thibaud Simphal, ainsi que le directeur Europe de l'Ouest de la firme, Pierre-Dimitri Gore-Coty, comparaîtront notamment pour pratique commerciale trompeuse, complicité d'exercice illégal de la profession de taxi et traitement de données à caractère personnel sans déclaration préalable à la CNIL, a détaillé le parquet dans un communiqué.

    En attendant, Uber continue son offensive de communication en faveur de son service UberPOP, qui fait appel à des chauffeurs non-professionnels, notamment avec cette pétition en ligne signée par plus de 100.000 internautes.

    Ou encore en distillant ses «10 vérités» sur son service controversé:

    10 vérités sur uberPOP > http://t.co/N6bupoHbIy #ouiPOP

    Pour y voir plus clair, nous avons démêlé le vrai du faux dans le discours de l'entreprise. Voici, point par point, le résultat:

    1. «UberPOP n'a pas été jugé illégal.» (Thibaud Simphal, sur France Info)

    C'est avec des mots choisis que Thibaud Simphal, directeur général d'Uber France, a défendu son service sur France Info vendredi 26 juin. «François Hollande lui-même a dit récemment qu'UberPOP doit être déclaré illégal, c'est bien la preuve qu'il ne l'est pas pour l'instant», abonde le porte-parole d'Uber Thomas Meister, interrogé mardi par BuzzFeed France.

    Sur un plan purement juridique, la phrase du patron d'Uber en France est juste: l'entreprise a déposé plusieurs recours, notamment auprès du Conseil constitutionnel, et aucune décision de justice n'a encore demandé la suspension du service (tout le monde parle de dissoudre l'application, mais UberPop est un service, disponible dans l'appli Uber). La société continue donc de proposer UberPOP.

    Sauf que le dossier UberPOP ne se résume pas à cela. Le gouvernement, depuis la loi Thévenoud du 1er janvier 2015, considère le service illégal. «C'est un bras-de-fer juridique, résumait récemment à BuzzFeed France le porte-parole du ministère de l'Intérieur Pierre-Henri Brandet. UberPOP brave les interdits, ce sera à la justice de trancher. En attendant, nous faisons appliquer la loi et nous verbalisons les chauffeurs qui travaillent pour ce type d'applications.»

    En effet, des centaines de chauffeurs UberPOP ont été verbalisés ces derniers mois. La position d'Uber est également affaiblie par le renvoi mardi de deux dirigeants d'Uber en correctionnelle.

    En fait il est aussi juste de dire «UberPOP n'a pas été jugé illégal» que de dire «UberPOP n'a pas été jugé définitivement légal» par un tribunal.

    2. «Le seul conducteur UberPOP qui a été jugé a été jugé non coupable.» (Thibaud Simphal, sur France Info)

    Certes, un chauffeur UberPOP a été relaxé le 11 juin dernier. Mais ce n'est pas la seule procédure qui a visé des conducteurs qui utilisent l'application. Un chauffeur UberPOP a ainsi été condamné jeudi 18 juin, en son absence, à 15 jours de prison avec sursis par le Tribunal correctionnel de Paris pour exercice illégal de la profession de taxi.

    Thomas Meister conteste cette information: «Son nom n'apparaît pas parmi les partenaires d'Uber». Le parquet de Paris nous confirme pourtant qu'il s'agissait bien d'un chauffeur UberPOP. Interrogé une nouvelle fois en retour, le porte-parole d'Uber grince: «Que le parquet veuille faire feu de tout bois pour calomnier Uber c'est une chose, qu'ils mentent en est une autre.»

    France Info a fait état d'une autre condamnation ce mercredi après publication de notre article.

    À Toulouse, «la justice a condamné à 1000 euros d'amende et deux mois de suspension de permis de conduire un chauffeur UberPOP», selon la radio. «Il avait été interpellé il y a quelques jours car une cliente l'avait payé en liquide», précise la station. Cette condamnation a été prononcée pour «exercice illégal de la profession de taxi et travail dissimulé», ajoute 20 minutes.

    Maître Stéphanie Dupont-Baillon, l'avocate du chauffeur, confirme que «c'était lié à UberPOP, on a parlé d'UberPOP pendant toute la procédure» même si le chauffeur n'a pas eu recours à UberPOP pour la course qui précédait son arrestation.

    Uber nous a indiqué ce mercredi soir ne pas avoir connaissance de l'affaire et ne pouvait donc commenter l'information dans l'immédiat.

    Au-delà de ces poursuites, des chauffeurs Uber font l'objet d'autres procédures: le parquet de Paris insiste ce mardi dans un communiqué sur le fait que «202 chauffeurs UberPOP ont fait l'objet de condamnations à des amendes dans le cadre de procédures simplifiées». 79 sont par ailleurs en cours de traitement. Ces procédures simplifiées sont notamment des compositions pénales, une procédure alternative où il n'y a pas de procès, mais où le prévenu reconnait les faits reprochés et peut notamment écoper d'une amende. Les compositions pénales exécutées sont inscrites au bulletin n°1 du casier judiciaire.

    Le porte-parole d'Uber affirme qu'il ne s'agit «pas de condamnations». Selon la Cour de cassation, les compositions pénales ne sont pas des «condamnations pénales», Uber a donc raison sur ce point. Reste que les chauffeurs visés ont avoué les faits et fait l'objet d'amendes.

    Le porte-parole nous dit par ailleurs que si ses chauffeurs ont recours à cette procédure, c'est par crainte de poursuites. Or il affirme en même temps qu'Uber apporte son aide juridique à ses chauffeurs, et le directeur général d'Uber France, Thibaud Simphal, expliquait mi-juin au Figaro que «lorsqu'ils en font la demande, [Uber] prend en charge l'amende» des chauffeurs.

    D'un côté, Uber laisse entendre que les chauffeurs UberPOP n'ont rien à se reprocher et sont soutenus juridiquement et financièrement par l'entreprise. De l'autre, pourtant, des centaines ont déjà reconnu des faits d'exercice illégal de la profession de taxi dans le cadre de procédures simplifiées. Uber communique donc sur le procès qui l'arrange, et pas sur le reste, beaucoup plus complexe.

    3. «Les conducteurs UberPOP ont plus de 21 ans et sont titulaires d'un permis B depuis plus d'un an. Ils conduisent des véhicules en bon état, de moins de 10 ans d'ancienneté, assurés.»

    Pour exercer en tant que chauffeur UberPOP, il faut d'abord envoyer toute une batterie de documents qu'Uber se charge de vérifier: permis de conduire, extrait de casier judiciaire, plaque d'immatriculation et photos du véhicule... C'est l'un des arguments développés par la firme dans sa pétition.

    Voici par exemple la première page d'inscription sur laquelle tombent les candidats:

    Reste que toutes ces précautions n'empêchent pas les potentielles dérives. Le 19 juin dernier, un chauffeur UberPOP a ainsi été arrêté à Paris sans permis de conduire. Information une nouvelle fois démentie par Thomas Meister d'Uber, qui n'est «pas sûr» qu'il s'agisse bien d'un conducteur UberPOP... Mais confirmée elle aussi à BuzzFeed France par le parquet de Paris.

    Le porte-parole d'Uber indique par ailleurs qu'il est possible que ce chauffeur ait perdu son permis depuis son inscription à Uber, parce qu'il n'avait plus de points. Information dont la société n'aurait pas la connaissance le cas échéant, selon lui.

    Il reconnaît aussi qu'il peut y avoir des problèmes de falsifications de document, «mais ce n'est pas lié à nous», assure-t-il, estimant que son entreprise fait au mieux. «Cela peut aussi arriver aux taxis ou dans d'autres professions», plaide-t-il. Ce n'est pas faux –fin mai dernier, un taxi posté à Orly a par exemple été condamné pour avoir exercé sans assurance ni permis, racontait Le Parisien– mais on peut se demander si la multiplication des conducteurs UberPOP ne multiplie pas aussi ce type de risques, par rapport à des chauffeurs (taxis comme VTC) dont c'est l'activité principale.

    4. «Les chauffeurs UberPOP déclarent leurs revenus et paient des impôts: tous les paiements sont effectués par virement bancaire, ce qui assure à l'administration fiscale une totale transparence.»

    Qu'ils soient auto-entrepreneurs ou non, les chauffeurs UberPOP sont censés déclarer leurs revenus. Le fait que les paiements se fassent par carte bancaire facilite effectivement la traçabilité des revenus. Cela ne veut pas dire pour autant que tous les chauffeurs UberPOP déclarent tous leurs revenus (comme il y a de la fraude dans d'autres secteurs, notamment les professions libérales), ni que toutes les fraudes soient détectées au final, mais les consignes données par Uber n'ont rien d'illégal.

    5. «Au-delà de 7500 euros de revenus, ils ont l'obligation de se déclarer comme auto-entrepreneur et donc de s'acquitter de charges sociales.»

    Uber a raison de souligner que ses chauffeurs UberPOP doivent se déclarer en tant qu'auto-entrepreneurs, au-dessus de 7500 euros de revenus annuels (ce seuil est considéré comme le coût d'entretien annuel d'une voiture).

    Ce n'est néanmoins pas tout à fait le sujet: la critique que font les détracteurs du service est que les conducteurs UberPOP bénéficient d'une fiscalité beaucoup moins élevée que leur concurrence grâce à ce statut (23% de charges sociales contre 46%), ainsi que de coûts d'assurances beaucoup plus faible. Cela n'a rien d'illégal, mais les taxis s'estiment victime d'une concurrence «déloyale» selon eux.

    6. «En complément de l'assurance individuelle du conducteur et de son véhicule, chaque trajet est couvert par une assurance responsabilité civile à hauteur de 4 millions d'euros qui couvre le passager et les tiers en cas de dommages corporels et matériels.»

    Interrogé début juin par BuzzFeed France, le porte-parole du ministère de l'Intérieur Pierre-Henry Brandet mettait en garde les utilisateurs d'UberPOP: «Des chauffeurs conduisent sans assurance. Les gens n'ont pas conscience des risques...»

    Uber se veut rassurant, expliquant demander à tous ses conducteurs UberPOP de s'assurer en exigeant plusieurs documents pour cela, tout en ajoutant sa propre assurance, au cas où. Contactée par BuzzFeed France, la communication du groupe ACE, qui gère ce contrat d'assurance pour Uber, refuse de communiquer sur le sujet.

    Renversons la question: que se passe-t-il pour les utilisateurs d'UberPOP qui seraient victimes d'un sinistre? Le service presse d'Axa Assurances -qui connaît bien Uber pour assurer ses conducteurs de VTC traditionnels en France- reste évasif: «Il faut demander au chauffeur UberPOP comment il est assuré... Ce n'est pas notre rôle de porter un jugement sur une activité.» Plusieurs autres compagnies interrogées ont également botté en touche.

    Pour avoir une réponse, nous avons donc essayé une autre approche: interroger notre propre compagnie d'assurance en tant que client pour savoir si nous serions couvert en cas de sinistre dans la voiture d'un chauffeur UberPOP. Voici la réponse qui nous a été faite:

    «S'il y a un souci, ce serait de la responsabilité du chauffeur. S'il n'a pas d'assurance, c'est lui qui serait dans l'illégalité, pas vous. Donc normalement, vous seriez quand même couvert. Ce sont des procédures qui peuvent être un peu plus longues qu'en temps normal, mais on serait là pour vous aider.»

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