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    «Le Point» dit que la SNCF est le «paradis des prolétaires». Vraiment?

    Le site de l'hebdo a publié récemment un article qui dénonce un «paradis des prolétaires», mais se trompe à plusieurs reprises. Explications.

    Le Point a publié le 15 octobre dernier un article à charge contre «les avantages hors du commun dont bénéficient les salariés de la SNCF».

    Des milliers de personnes ont partagé cet article, qui affirme notamment que «la SNCF coûte chaque année l'équivalent de plus de 1.000 euros à tous les contribuables français soumis à l'impôt sur le revenu!» et en fait un vrai «paradis des prolétaires».

    Contactée par BuzzFeed France, la SNCF indique ne pas souhaiter répondre à nos questions sur cet article dans l'immédiat.

    Cette charge a en revanche suscité des réactions négatives, principalement auprès des premiers concernés. Le blog de Sylvain, cheminot a ainsi décidé de répondre à un «tas de merde» qui a «relancé la machine à fantasme sur les cheminots».

    Les accusations du Point à l'encontre des cheminots sont-elles vraiment fondées? BuzzFeed France a vérifié point par point.

    Ce que dit Le Point.

    «En 2003, 178 000 cheminots "se sont partagé" 7,7 milliards d'euros, soit 43.260 euros par tête. Dix ans plus tard, en 2013, ils n'étaient plus que 152 000, mais "ils ont touché" 9 milliards d'euros, soit 59.200 euros par personne, soit 4554 euros par mois sur treize mois.»

    Pourquoi c'est faux.

    Le Point tire ces chiffres d'un article publié fin août 2015 par UFC Que Choisir. Lui-même se base sur une autre source, le site spécialisé MobiliCités.com, qui publiait en octobre 2014 des extraits d'un rapport interne à la SNCF sur l'évolution de la masse salariale du groupe entre 2003 et 2013.

    Les chiffres de MobiliCités.com et d'UFC Que Choisir sur la masse salariale de la SNCF sont justes, mais Le Point les a manipulés de manière trompeuse. Le site a divisé la masse salariale du groupe par le nombre de salariés, et présenté le résultat comme la rémunération moyenne des agents de la SNCF.

    Or, ce chiffre de «59.200 euros par personne» n'est pas le salaire brut des employés de la SNCF. C'est le total de ce que «coûtent» ces salariés à la SNCF en moyenne. Cela chiffre englobe le salaire, mais aussi les charges patronales.

    Le vrai salaire moyen mensuel d'un salarié de la SNCF en 2013 était de 2945 euros et pas de 4554 euros, selon le rapport RSE 2014 de l'entreprise.

    Ce que dit Le Point.

    «Les augmentations salariales se sont établies, en moyenne sur les dix dernières années, à un niveau annuel de 2,5 % en plus de l'inflation.»

    Pourquoi c'est vrai.

    De 2003 à 2013, les charges salariales de la SNCF ont augmenté de 16,6% quand le nombre de salariés diminuait de 14%, selon les chiffres du rapport interne cités par MobiliCités.com.

    Résultat: le coût moyen par agent a augmenté de 3,87% par an en moyenne quand l'inflation progresserait de 1,56% par an en moyenne.

    Soit un écart de 2,3% par an, que Le Point a arrondi à 2,5%.

    Mobilicités.com dit que le rapport interne distingue deux principales explications à cette situation: «L'une liée au fonctionnement interne de l'entreprise, et l'autre aux effets pervers de la réforme des retraites»:

    - «Sur la période, explique le rapport, les indemnités versées en échange de sujétions particulières de service -travaux de nuit, de week-end, astreintes, port d'arme etc, bondissent de 62 % par agent, soit une hausse de 240 millions d'euros en dix ans.»

    - «La SNCF reconnaît dans son rapport que des "promotions ont été utilisées comme moyen d'augmentation salariale individuelle", ce qui a contribué également à faire dériver la masse salariale et à ankyloser l'entreprise.»

    - «Le second phénomène de cette dérive de la masse salariale, structurel, est bien plus préoccupant, car la direction n'a que très peu de prise dessus. Il est lié à l'effet pervers de la dernière réforme du régime des retraites des agents SNCF – en 2008 et 2010 - qui a conduit à retarder l'âge du départ en retraite. Etant donné que l'avancement de carrière des agents au statut est automatique et que les carrières s'allongent, les agents en fin de carrière bénéficient donc de salaires plus élevés qu'auparavant.»

    Ce que dit Le Point.

    «Chaque année en moyenne, l'entreprise reçoit plus de 12 milliards d'euros de subventions publiques pour un chiffre d'affaires de l'ordre de 30 milliards.

    La SNCF coûte ainsi chaque année l'équivalent de plus de 1000 euros à tous les contribuables français soumis à l'impôt sur le revenu!»

    Pourquoi c'est faux.

    Le Point reprend les chiffres du think tank Iref, évalue les subventions publiques annuelles allouées à la SNCF à 7,2 milliards d'euros et celles attribuées RFF (Réseau ferré de France, qui a réintégré le giron de la SNCF en 2015), à 5 milliards d'euros. La source de ces chiffres n'est pas mentionnée.

    À partir du chiffre de 12 milliards d'euros, l'Iref semble faire une règle de trois pour conclure que la SNCF coûte «plus de 1000 euros par an à chaque contribuable français soumis à l'impôt sur le revenu».

    Un vrai contresens, pour plusieurs raisons:

    1. 17,6 millions de foyers fiscaux ont payé l'impôt sur le revenu en 2014. Ce qui fait environ 680 euros par an par foyer fiscal (et encore moins rapporté au nombre de contribuables, puisqu'un foyer fiscal peut être composé de plusieurs personnes).

    2. Les collectivités territoriales financent en grande partie la SNCF. Les régions ont ainsi contribué aux coûts liés aux TER à hauteur de 2,7 milliards d'euros en 2013. Or, ces budgets n'ont rien à voir avec l'impôt sur le revenu.

    3. Ce mode de calcul ne présente les subventions à la SNCF que comme des coûts pour la société, occultant que bon nombre d'entre elles compensent des avantages donnés à des usagers (par exemple les réductions allouées aux militaires et aux familles nombreuses) ou des dépenses d'investissements dans le réseau ferré.

    Le calcul repris ici par Le Point est donc erroné.

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