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    Le film «Un Français» ciblé par l'extrême droite? Pas vraiment

    La production du film dénonce une «campagne de haine» qui semble pour l'heure limitée. Explications.

    Patrick Asté, alias, Diastème, est un auteur et réalisateur français. Son deuxième long-métrage, Un Français, sortira le 10 juin prochain. Il raconte le parcours d'un homme d'une trentaine d'année, de son appartenance à un groupe de skinheads à la rédemption.

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    Sauf que le film serait en voie d'être étouffé à cause de pressions venues de l'extrême droite, qui ne goûterait pas son message.

    C'est ce qu'a affirmé Diastème lundi sur son blog. Il y explique que «les 50 avant-premières qui devaient avoir lieu dans 50 villes de France le mardi 2 juin sont annulées.» Il y retranscrit ce dialogue avec sa coproductrice Marielle:

    «Certains exploitants ne veulent pas le film, lui a-t-on dit, ils ont peur.

    - Peur de quoi? je lui demande.

    - Je ne sais pas, elle me répond.

    - Les 50?

    - Ben faut croire...»

    Toujours selon Diastème, «moins de 50 salles, et encore, pas sûr...», seraient finalement prêtes à diffuser son film sur les «plus de 100 salles» initialement prévues.

    Version nuancée par la société de production en charge du long-métrage, Mars Films. Voici ce qu'elle a précisé mardi après-midi dans un communiqué:

    «Les faits sont les suivants:

    1/ La sortie initiale prévue autour d'une centaine de copies a été ramenée à 60 afin d'optimiser au mieux chaque copie et de valoriser chaque salle diffusant le film.

    2/ Un grand nombre de cinémas ont été contactés pour organiser des avant-premières suivies de débats en présence d'associations locales. La plupart n'ont pas donné suite à cette proposition.»

    La société précise néanmoins que le film a «fait l'objet, sur les réseaux sociaux, d'une spectaculaire campagne de haine attisée par des commentaires violents, agressifs, menaçants autour de sa bande-annonce.»

    Diastème lui-même a fini par nuancer son propos, expliquant ne pas avoir été victime de censure à proprement parler un nouveau post de blog mardi:

    «Ce n'est pas la guerre, ce n'est pas la censure, ce n'est pas la collaboration», écrit-il, expliquant que huit avant-premières au moins auraient lieu et que «50, voire 60, en espérant que cela grimpe» salles diffuseraient bien son film.

    La sortie de ce film a-t-elle vraiment été entourée d'une «campagne de haine», et à quelle échelle? Et dans quelle mesure cette dernière a-t-elle pu jouer en sa défaveur?

    Contactés par BuzzFeed France, Diastème (via son attaché de presse) et Mars Films n'ont pas donné suite à nos questions.

    Nous avons néanmoins pu retracer l'historique des débats qu'a pu d'ores-et-déjà susciter Un Français en public sur les réseaux sociaux. Il s'agit de quelques dizaines de messages mécontents voire injurieux sous la bande-annonce du film sur YouTube ou sur la page Facebook du film.

    Voici quelques exemples: «Spot de propagande. Rien d'autre», s'insurge Sebastian. «MDR j'en peu plus. Cette propagande Socialiste c'est incroyable!» peste Kinley. «Encore un film anti-français dans la veine d'Indigènes ou Avatar», renchérit Alban.

    Mars Films a envoyé, après publication de notre article, un tweet pour nous signaler avoir modéré, en outre, beaucoup de commentaires sur sa page Facebook.

    @BuzzFeedFrance afin d'éclairer (un peu) votre article, nous avons beaucoup modéré les menaces / insultes sur la page FB du film #UnFrancais

    La société de production ne nous en dira pas plus.

    La «campagne de haine» contre le film semble néanmoins circonscrite à ces deux plateformes et d'une ampleur très limitée.

    La blogosphère d'extrême droite s'est peu voire pas du tout intéressé au film jusqu'ici. On trouve tout juste un article du site d'information de référence de l'extrême droite fdesouche.com sur le sujet, par ailleurs peu relayé sur les réseaux sociaux. Ou un autre du site lagauchematuer.fr, signé du théoricien d'extrême droite Jean-Yves Le Gallou.

    Même sentiment du côté de plusieurs cinémas qui diffuseront le film.

    Contacté par BuzzFeed France, le gérant d'Utopia Avignon, Patrick Guivarch, confirme qu'il diffusera bien Un Français. Mais pas de quoi se poser en défenseur de la liberté d'expression pour autant, selon lui:

    Nous n'avons reçu aucune pression avant ou après la montée de la polémique. Je n'ai pas vu le film, mais je connais Diastème pour ce qu'il a fait par le passé et on avait envie de le diffuser, voilà tout.

    Constat partagé au cinéma Paradiso de Saint-Martin-en-Haut (Rhône). Un des responsables nous indique que «la décision de le diffuser a été prise la semaine dernière»:

    Il n'y a eu aucune pression. Nous manquions de films français à cette époque de l'année et nous sommes tombés sur Un Français, nous connaissions le diffuseur qui était fiable donc voilà

    Cyril Jacquens, gérant du cinéma Devosge à Dijon (Côte d'Or), a décidé d'organiser une avant-première du film le 8 juin prochain, sans même être sollicité par Mars Films.

    Je l'ai vu et je peux vous dire que c'est très bien fait et très intéressant. Son problème, c'est peut-être qu'il se situe entre le film politique et le film grand public.

    Lui non plus n'a en tous cas pas reçu de menaces, insultes ou pressions depuis qu'il a programmé le film.

    Aucun de ces trois gérants n'a par ailleurs connaissance de confrères qui auraient déprogrammé le film et/ou qui auraient subi des pressions sur sa possible programmation.

    Un exploitant de salle interrogé par BuzzFeed France reste d'ailleurs sceptique sur la censure dont serait victime le long-métrage:

    «Il y a entre 5000 et 6000 écrans en France, rappelle-t-il. Quand un film sort dans 600 salles d'un coup c'est que c'est un gros blockbuster. 50 à 100 salles, c'est déjà beaucoup.» «50 salles, ce n'est pas ridicule, mais c'est beaucoup moins que ce qui semblait avoir été envisagé au départ», complète quant à lui Cyril Jacquens.

    Peut-être Diastème a-t-il simplement été déçu de ne pas susciter l'intérêt qu'il escomptait avec son film. Il espère sans doute aussi, avec son coup de gueule, attirer l'attention sur son travail. Il n'est pas non plus exclu que des exploitants aient refusé le film à cause de son thème. Mais il semble que ce serait alors plus par lâcheté qu'à cause de menaces directes. Un Français n'a en effet pas été victime, pour l'heure, d'une vraie «campagne» de l'extrême droite radicale -et l'on ne peut que s'en réjouir.

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    Ajout d'un lien vers l'article de lagauchematuer.fr et d'un autre vers un article de Slate.fr.

    Ajout d'un tweet de Mars Films.