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    Eric Zemmour, roi de l'intox sur BFM TV

    Le polémiste a accumulé les exagérations et les contre-vérités dimanche.

    Éric Zemmour a débattu dimanche 28 février pendant 30 minutes sur BFM TV face au premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis. Émission au cours de laquelle il a distillé plusieurs contre-vérités.

    1. Sur les élèves de confession juive en Seine-Saint-Denis.

    Pourquoi c'est très exagéré.

    Il n'existe pas de statistiques faites sur la base de la confession des élèves en France –Éric Zemmour se garde d'ailleurs bien de dire quelle est la source de son affirmation. Il n'est pas le premier à lancer une affirmation de ce genre, mais il la pousse à l'extrême.

    Il y a un an, le grand rabbin de France Haïm Korsia disait sur Europe 1 qu'il «n'y a pratiquement plus aucun enfant juif dans les écoles publiques de Seine-Saint-Denis». Mais Sammy Ghozlan, le président de l'association des juifs de Seine-Saint-Denis, avait alors contredit auprès de la radio l'idée selon laquelle les écoles publiques seraient «désertées» par la communauté juive, tout en notant qu'il y avait bien eu un développement des établissements privés juifs, au nombre de huit dans le département actuellement.

    Et s'il faut s'en convaincre, il vous suffit d'interroger quelques enseignants du département, comme l'avait fait Rue89 en 2014 après les propos du même genre d'un réalisateur, pour constater qu'il y a bien des écoliers juifs qui y sont scolarisés.

    2. Sur un prétendu «grand remplacement» à Montreuil, Drancy, Pierrefitte et Paris.

    Pourquoi c'est faux.

    Éric Zemmour reprend ici à son compte le «grand remplacement», un concept théorisé par l'écrivain d'extrême droite Renaud Camus, qui voudrait que les «Français de souche» soient en passe d'être remplacés par un autre peuple.

    L'expression «Français de souche» en elle-même pose problème: aucun critère démographique ne permet de distinguer ceux qui en seraient et ceux qui n'en seraient pas. Éric Zemmour semble néanmoins essayer d'en donner un en évoquant «des gens qui n'étaient pas français il y a encore 30 ans», mais ne cite aucune source pour appuyer son constat.

    Loin de cette grille de lecture de l'extrême droite, l'Insee donne des éléments de réponse chiffrés dans le recensement de 2012 sur la part de résidents immigrés dans les villes citées par Éric Zemmour:

    - À Montreuil, les immigrés représentent 26% de la population.

    - À Drancy, 30%.

    - À Pierrefitte-sur-Seine, 37%

    - Dans le 18e arrondissement de Paris, 23%.

    Des chiffres supérieurs à la moyenne nationale (8,76%) et régionale (18% pour l'Ile-de-France), mais à des années-lumières des 100% pointés par Éric Zemmour. Et ce même si on y ajoutait la «deuxième génération», c'est-à-dire les Français nés de parents immigrés -sachant également que la majorité d'entre eux (57%) a un parent né en France.

    3. Sur Saint-Denis, «Oran en 1990».

    Pourquoi c'est une intox.

    Éric Zemmour introduit son propos en disant que «c'est pas la presse française qui vous en parlera. Sauf deux articles, comme par hasard écrit par des journalistes algériens, il n'y a qu'eux qui aient l'honnêteté et la lucidité.»

    Il évoque un article de Paris Match sur Avignon, sans entrer dans les détails -mais l'article, qui compare la ville à une «cité des salafistes», a été critiqué, comme son auteur, connu pour son rôle trouble dans la vente des images de surveillance du Casa Nostra. Et développe son argumentaire en s'appuyant sur un autre article, cette fois de Marianne sur Saint-Denis.

    BuzzFeed a retrouvé l'article en question, publié en novembre 2015. Il ne s'agit pas d'un article écrit par un journaliste algérien mais du témoignage de Fewzi Benhabib, un universitaire menacé de mort par les islamistes en Algérie qui habite à Saint-Denis depuis 1994. Comme le dit l'introduction de l'article, il «raconte la progression lente d'une idéologie mortifère dans son département.»

    Le problème, c'est qu'Éric Zemmour dit des choses qu'on ne trouve pas dans le texte. Le halal, par exemple, n'est cité qu'une fois, pour évoquer un fast-food qui vend des hamburgers 100% halal. Un magasin qui, selon Fewzi Benhabib, symbolise une «conquête des esprits». Mais ce dernier ne dit pas que l'intégralité des boutiques sont halal -et pour cause, une simple recherche dans l'annuaire montre le contraire.

    Quant au voile, il est bien évoqué au sujet d'un salon de coiffure qui réserve «une salle spéciale pour les femmes voilées, à l'abri des regards». Une pratique qui choque l'universitaire, mais là aussi, ce dernier ne dit pas que toutes les femmes de Saint-Denis sont contraintes de porter le voile -d'autant que la gérante du salon en question elle-même ne le fait pas.

    Si Fewzi Benhabib dit s'inquiéter d'un islamisme qui progresse «à bas bruit, par petites audaces successives», comme il l'a constaté en Algérie dans les années 1990, Éric Zemmour a complètement réécrit son témoignage.

    4. Sur le choix des prénoms en France.

    Pourquoi c'est faux.

    Éric Zemmour, qui prône la nécessité d'«assimiler» les résidents immigrés en France, accuse la gauche d'être responsable du fait qu'il soit possible de donner à un enfant un prénom autre que ceux qui figurent dans le calendrier chrétien. Une affirmation contestable.

    Premier problème, la référence à Napoléon d'Éric Zemmour est incomplète: la loi de 1803 ne limite pas le choix des prénoms au simple calendrier chrétien. Elle dit que «les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus dans l'histoire ancienne pourront seuls être reçus». Un retour à l'ordre alors que depuis 1792 apparaissaient des enfants prénommés Robespierre, Marat, Paix, ou Constitution, explique le sociologue spécialiste des prénoms Baptiste Coulmont à L'Express.

    C'est bien en 1993 que le Code Civil a évolué pour donner une liberté presque totale aux parents dans le choix du prénom de leur enfant. Mais les choses avaient déjà évolué à partir de 1966, sous De Gaulle, et une circulaire envoyée aux officiers d'état civil rappelle Baptiste Coulmont.