63% des Français sont favorables à la loi sur le renseignement qui est discutée à l'Assemblée nationale jusqu'au vote du 5 mai.
C'est un sondage CSA publié début avril qui le dit.
Le hic, c'est que seuls 28% des Français voient bien «de quoi il s'agit»...
Alors qu'on parle quand même de lutte contre le terrorisme, de libertés individuelles et de protection de la vie privée.
Alors, que contient la loi?
C'est la question des écoutes qui attire le plus l'attention dans ce projet de loi, mais ce dernier est beaucoup plus vaste. Il commence déjà par redéfinir, de manière assez large, la place du renseignement en France.
Son rôle, est selon ce texte, «en France et à l'étranger, la recherche, la collecte, l'exploitation et la mise à disposition du Gouvernement des renseignements relatifs aux enjeux géopolitiques et stratégiques ainsi qu'aux menaces et aux risques susceptibles d'affecter la vie de la Nation.»
La loi liste ensuite les cas de figure dans lesquels les services de renseignement pourront intervenir: prévention du terrorisme, de la criminalité, défense de la sécurité nationale... (Vous pouvez en consulter le détail sur NextPcInpact).
La loi définit aussi quels agents peuvent avoir la compétence «renseignement». Il s'agit de ceux qui dépendent «des ministres de la Défense et de l'Intérieur ainsi que des ministres chargés de l'Economie, du Budget ou des Douanes». Les députés y ont ajouté le ministère de la Justice en commission des lois.
Oui mais ça sert à quoi?
Aujourd'hui «les espions français reconnaissent qu'ils vont un peu plus loin [que ce que la loi autorise] selon la règle du "pas vu, pas pris", rappelle L'Express. Avec ce texte, leurs moyens techniques vont s'accroître en toute légalité», ce qui est censé les aider à trouver plus facilement les informations qu'ils recherchent.
Voici les principales pratiques qui deviendront possibles avec la future loi:
- placer des micros, balises, caméras espions où nécessaire
- utiliser des mouchards pour connaître les touches frappées sur le clavier
- utiliser des Imsi-catchers, des capteurs de proximité qui permettent d'intercepter les téléphones portables, de récupérer leurs données de connexion et d'écouter les conversations (si ces valises espionnent vous intriguent, vous pourrez en apprendre plus dans cet article de 20 Minutes)
- étendre les écoutes administratives, dans certains cas, à «l'entourage de la personne visée»
- utiliser des algorithmes pour surveiller le trafic internet en France sur les réseaux des fournisseurs d'accès dans le but de repérer les menaces terroristes. Un dispositif suffisamment vaste pour représenter une forme de «surveillance massive» qui inquiète les opposants à la loi, comme l'explique Le Monde.
Au-delà de son côté intrusif, cette formule est pointée du doigt pour sa probable inefficacité. «Techniquement, c'est très foireux», tranche Rue89. Le site explique: «Même si l'algorithme concocté par les services est hyper-balèze, il ne pourra échapper à une quantité considérable de faux positifs (en l'occurrence, des gens identifiés comme potentiellement suspects et qui se révèlent non coupables).»
Demander à des programmes informatiques de trouver, avec succès, quelques terroristes en surveillant les connexions de dizaines de millions de personnes revient donc à chercher «une goutte dans un océan», selon les experts interrogés par Rue89.
Quels sont les risques d'abus?
Il y a peu de chances pour que Manuel Valls en personne écoute vos conversations. Reste que la loi offre un champ d'action très vaste aux services de renseignement. Il va donc falloir contrôler leurs pratiques pour éviter les dérives. Le gouvernement jure sur son site que «la commission de contrôle sera indépendante et disposera des moyens suffisants pour assurer sa mission».
Béatrice Brugère, vice-procureur de la République au tribunal de grande instance de Paris, n'est pas convaincue pour l'instant. Pour que cela marche, explique-t-elle à Libération, il faut selon elle «que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) ait des moyens financiers, des effectifs et le droit d'aller voir comment tout cela fonctionne réellement.»
Des opposants de tous bords
L'une des spécificités de ce débat est que des observateurs d'horizons radicalement différents se réunissent pour alerter sur les risques liés à cette loi (voir aussi l'infographie du Monde sur cette «galaxie» d'opposants). On y trouve:
- des militants de l'internet libre comme la Quadrature du net
- des associations de défenses des droits (Amnesty International, Reporters Sans Frontières, Ligue des Droits de l'Homme...)
- des représentants du milieu policier comme la CGT Police
- des représentants du milieu judiciaire (l'ordre des avocats de Paris, l'Union Syndicale des Magistrats, le juge antiterroriste Marc Trévidic...)
- des personnalités politiques de droite comme de gauche
Du côté des «pour», on entend surtout le gouvernement, qui porte ce projet de loi. Mais aussi une partie des députés de droite, si bien que la loi devrait être adoptée assez largement à l'Assemblée nationale.
«Moi, je n'ai rien à cacher, alors ça ne me dérange pas d'être surveillé»
Les partisans de la loi expliquent qu'elle vise à lutter contre les menaces pour la sécurité du pays, et en premier lieu la menace terroriste. Que des banales conversations d'un citoyen «lambda» puissent passer dans les mains des services de renseignement à un moment donné n'aurait donc rien de gênant. Promis, ces derniers sauront faire le tri de manière impartiale.
Argument contesté par les opposants. «Nous avons tous une vie intime et personnelle qui doit rester privée, avance Dominique Curis d'Amnesty International dans une tribune sur Rue89. L'enjeu est de taille. C'est dans le cercle privé, intime que se consolident les capacités intellectuelles et affectives de chacun, précisément parce que hors du regard public. Préserver notre vie privée, c'est préserver notre capacité de prise de risque intellectuelle, de créativité, de mobilisation sociale indépendante.»
Cela vous donne au moins une bonne raison de vous intéresser au débat.